J’ai vécu à Sayabec* jusqu’à l’âge de 16 ans, avant d’aller étudier « en ville ». D’abord à Rimouski et ensuite à Montréal. J’y suis retournée des centaines de fois depuis et très intensément pendant les 10 dernières années de vie de mon père. Il est décédé en 2008, à 96 ans. Je n’y étais pas retournée depuis. Le 4 novembre dernier, j’ai fait un retour au bercail pour revoir mes proches et pour ce qui allait se révéler être le plus beau et le plus touchant des lancements de la courte histoire du voyage des Entretiens avec Henry Mintzberg.
Imaginez une soixantaine de personnes – dans un village de moins de 2000 âmes en 2010 – réunies pour célébrer le lancement d’un livre réunissant les propos d’un prof de management de McGill qui demeure, malgré sa célébrité internationale, un parfait inconnu du grand public.
Imaginez aussi, dans l’ordre et le désordre : la lecture à voix haute d’extraits de mon conte urbain 2010 dédié à mon père et ma mère, par le Sayabécois René-Jacques Gallant, qui a été le metteur en scène d’une pièce de théâtre dans laquelle j’ai jouée à 15 ans; trois pièces musicales interprétées, chant et guitare, par deux jeunes du village étudiant au Conservatoire de musique de Rimouski; un castor empaillé par Marc-André Otis (ex collègue de classe ) à l’entrée de la salle – clin d’oeil à l’amour des sculptures de cet animal par Mintzberg; une synthèse des travaux et de la pensée de HM présentée par Jacqueline Paquet, une enseignante retraitée qui a propagé l’amour du français à plusieurs générations de jeunes; Ginette Lemieux, une autre enseignante retraitée, chef d’orchestre de l’événement, défilant les remerciements à plus d’une dizaine d’hommes et de femmes qui ont contribué à son organisation; un buffet délicieux et copieux préparé par le chef Claude Dupéré, qui salue le leadership d’une mairesse dans le développement économique et communautaire du village; etc.
Imaginez, donc, une fête de la parole, des retrouvailles familiales et amicales, et du désir de représentants de plusieurs organismes locaux de voir Sayabec être, encore et pour longtemps, non seulement un souvenir, mais surtout devenir. (Sayabec, un souvenir, un devenir était le slogan des célébrations de son 100e anniversaire).
Ce brunch du 4 novembre à Sayabec est, je le répète, le plus beau et le plus émouvant des lancements de la courte histoire des Entretiens avec Henry Mintzberg. Pour des raisons personnelles faciles à deviner. Mais surtout parce que dans sa conception, son organisation et son déroulement, cet événement a été un bel exemple de communautéship et de « vrai » leadership, deux notions si chères à HM parce qu’elles sont essentielles au développement économique, social et culturel de nos sociétés.
Parmi ces « vrais » leaders, je pense en particulier à trois femmes :
Ginette Lemieux, présidente, entre autres du Comité culture et concertation de Sayabec. Elle est de ces « vrais leaders qui ne gravitent pas en orbite au-dessus de leur organisation. (…) De ces « leaders légitimes font preuve de juste assez de leadership », dit Minztberg en page 42 des Entretiens. Et comme ces vrais leaders, Ginette – qui a été ma prof en quatrième année – a aussi misé et stimulé, à maintes reprises, le communautéship des gens du village (communautéship, mot inventé par Mintzberg pour décrire les processus collectifs qui mènent à des réalisations remarquables). Elle a, entre autres, présidé le club de patinage artistique local au sein duquel David Pelletier – médaillé d’or olympique aux Jeux de 2002 – a réussi ses premiers saltos.
Jacqueline Paquet, la grande « coupable » de l’idée de ce lancement, fait aussi partie de ces vrais leaders « qui sont des gens auprès de qui on se tourne naturellement pour chercher conseil. Leur avis est non seulement recherché mais également suivi avec enthousiasme » – également page 42 des Entretiens. Enseignante de français pendant des lustres, elle a, entre autres, animé pendant des lustres le journal L’Écho Sayabécois.
Danielle Marcoux, la mairesse actuelle d’un village de moins de 2000 âmes en 2010 qui compte 43 organismes… Elle veille en bonne mère de famille à la réalisation des travaux de rénovation du centre communautaire, du centre sportif David-Pelletier et d’un projet de musée dans l’ancien gare ferroviaire, entre autres.
En méditant Sayabec (voir ici une référence aux billets En méditant Fogo de ce carnet), j’ai en tête une autre pensée de HM que je paraphrase ici : « depuis que nous savons que la terre est ronde, son centre ne peut plus être New York, Londres ou Paris. L’endroit où nous vivons peut être le centre du développement ». Voilà aussi l’esprit qui anime mon village natal.

Henry Mintzberg dans son bureau, quelques instants après la remise de documents et de présents préparés à son intention par la municipalité de Sayabec. Sur la table, TED, un exemple de Beaver Art et compagnon de HM lors de sa conférence au TEDXMcGill. Photo : essai via IPhone par Jacinthe Tremblay
PS. Avec ce brunch, Sayabec est sans doute devenu l’endroit au monde au plus haut taux de citoyen per capita qui savent qui est Henry Mintzberg. Et Henry Mintzberg, de son côté, sait que dans ce village, il y a des gens formidables… et des castors – pour vrai.
* Sayabec – prononcer Sébec -, c’est mon village natal. Centenaire depuis 1994. Quelque 2000 âmes qui vivent au coeur de la Vallée de la Matapédia, en Gaspésie, au Québec. À une heure de route de Rimouski ou à une quizaine de minutes d’Amqui, pour ceux qui connaissent le coin. À sept ou huit heures de Montréal, selon le poids du pied du conducteur. Sayabec, donc, qui signifie en micmac « rivière obstruée par les castors ».
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