La voie du Moulin à paroles : «Au refus global, nous opposons la responsabilité entière»

Le 13 septembre 2009, une femme de 84 ans s’est présentée sur la scène du kiosque Edwin-Bélanger, sur les plaines d’Abraham, à Québec, pour lire un texte intitulé Refus global, trop souvent réduit à un appel à un refus global lorsque présenté par son titre ou résumé en deux phrases courtes ou des clips de 30 secondes.

Françoise Sullivan, 13 septembre 2009, Québec. Photo : Jacques Nadeau

Françoise Sullivan, 13 septembre 2009, Québec. Photo : Jacques Nadeau

Françoise Sullivan a co-signé ce texte de Paul-Émile Borduas publié le 9 août 1948. Avec la voix chevrotante de ses 84 ans, cette grande artiste a réouvert la VOIE. À mes yeux. Et à ceux des milliers de personnes qui, sur les plaines d’abranham ou dans leur salon, ont écouté ce texte puissant du début à la fin. Ce texte, il faut le lire et le relire. Et démarrer des Moulins à paroles autour de ce texte, dans nos cuisines,  nos salons et dans l’espace public. Et ici.

Place à la version intégrale du texte Refus global.

Signataires du Refus Global -Magdeleine ARBOUR, Marcel BARBEAU, Bruno CORMIER, Claude GAUVREAU, Pierre GAUVREAU, Muriel GUILBAULT, Marcelle FERRON-HAMELIN, Fernand LEDUC, Thérèse LEDUC, Jean-Paul MOUSSEAU, Maurice PERRON, Louis RENAUD, Françoise RIOPELLE, Jean-Paul RIOPELLE, Françoise SULLIVAN.

Refus Global

Paul-Émile Borduas

Rejetons de modestes familles canadiennes françaises, ouvrières ou petites-bourgeoises, de l’arrivée du pays à nos jours restées françaises et catholiques par résistance au vainqueur, par attachement, arbitraire au passé, par plaisir et orgueil sentimental et autres nécessités.

Colonie précipitée dès 1760 dans les murs lisses de la peur, refuge habituel des vaincus; là, une première fois abandonnée. L’élite reprend la mer ou se vend au plus fort. Elle ne manquera plus de le faire chaque fois qu’une occasion sera belle.

Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l’écart de l’évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l’histoire quand l’ignorance complète est impraticable.

Petit peuple issu d’une colonie janséniste, isolé, vaincu, sans défense contre l’invasion, de toutes les congrégations de France et de Navarre, en mal de perpétuer en ces lieux bénis de la peur (c’est-le-commencement-de-la-sagesse!) le prestige et les bénéfices du catholicisme malmené en Europe. Héritières de l’autorité papale, mécanique, sans réplique, grands maîtres des méthodes obscurantistes, nos maisons d’enseignement ont, dès lors, les moyens d’organiser en monopole le règne de la mémoire exploiteuse, de la raison immobile, de l’intention néfaste.

Petit peuple qui, malgré tout, se multiplie dans la générosité de la chair sinon dans celle de l’esprit, au nord de l’immense Amérique au corps sémillant de la jeunesse au coeur d’or, mais à la morale simiesque, envoûtée par le prestige annihilant du souvenir des chefs-d’oeuvre d’Europe, dédaigneuse des authentiques créations de ses classes opprimées.

Notre destin sembla durement fixé.

Des révolutions, des guerres extérieures brisent cependant l’étanchéité du charme, l’efficacité du blocus spirituel.

Des perles incontrôlables suintent hors des murs.

Les luttes politiques deviennent âprement partisanes. Le clergé contre tout espoir commet des imprudences.

Des révoltes suivent, quelques exécutions capitales succèdent. Passionnément, les premières ruptures s’opèrent entre le clergé et quelques fidèles.

Lentement la brèche s’élargit, se rétrécit, s’élargit encore.

Les voyages à l’étranger se multiplient. Paris exerce toute l’attraction. Trop étendu dans le temps et dans l’espace, trop mobile pour nos âmes timorées, il n’est souvent que l’occasion d’une vacance employée à parfaire une éducation sexuelle retardataire et à acquérir, du fait d’un séjour en France, l’autorité facile en vue de l’exploitation améliorée de la foule au retour. À bien peu d’exceptions près, nos médecins, par exemple, (qu’ils aient ou non voyagé) adoptent une conduite scandaleuse (il-faut-bien-n’est-ce-pas-payer-ces-longues- années-d’études!)

Des oeuvres révolutionnaires, quand par hasard elles tombent sous la main, paraissent les fruits amers d’un groupe d’excentriques. L’activité académique a un autre prestige à notre manque de jugement.

Ces voyages sont aussi dans le nombre l’exceptionnelle occasion d’un réveil. L’impensable s’infiltre partout. Les lectures défendues se répandent. Elles apportent un peu de baume et d’espoir.

Des consciences s’éclairent au contact vivifiant des poètes maudits: ces hommes qui, sans être des monstres, osent exprimer haut et net ce que les plus malheureux d’entre nous étouffent tout bas dans la honte de soi et la terreur d’être engloutis vivants. Un peu de lumière se fait à l’exemple de ces hommes qui acceptent les premiers les inquiétudes présentes, si douleureuses, si filles perdues. Les réponses qu’ils apportent ont une autre valeur de trouble, de précision, de fraîcheur que les sempiternelles rengaines proposées au pays du Québec et dans tous les séminaires du globe.

Les frontières de nos rêves ne sont plus les mêmes.

Des vertiges nous prennent à la tombée des oripeaux d’horizons naguère surchargés. La honte du servage sans espoir fait place à la fierté d’une liberté possible à conquérir de haute lutte.

Au diable le goupillon et la tuque! Mille fois ils extorquèrent ce qu’ils donnèrent jadis.

Par delà le christianisme, nous touchons la brûlante fraternité humaine dont il est devenu la porte fermée.

Le règne de la peur multiforme est terminé.

Dans le fol espoir d’en effacer le souvenir je les énumère:
peur des préjugés – peur de l’opinion publique – des persécutions – de la réprobation générale
peur d’être seul sans Dieu et la société qui isole très infailliblement
peur de soi – de son frère – de la pauvreté
peur de l’ordre établi – de la ridicule justice
peur des relations neuves
peur du surrationnel
peur des nécessités
peur des écluses grandes ouvertes sur la foi en l’homme – en la société future
peur de toutes les formes susceptibles de déclencher un amour transformant
peur bleue – peur rouge – peur blanche : maillon de notre chaîne.

Du règne de la peur soustrayante nous passons à celui de l’angoisse.

Il aurait fallu être d’airain pour rester indifférents à la douleur des partis – pris de gaieté feinte, des réflexes psychologiques des plus cruelles extravagances : maillot de cellophane du poignant désespoir présent (comment ne pas crier à la lecture de la nouvelle de cette horrible collection d’abat-jour faits de tatouages prélevés sur de malheureux captifs à la demande d’une femme élégante; ne pas gémir à l’énoncé interminable des supplices des camps de concentration; ne pas avoir froid aux os à la description des cachots espagnols, des représailles injustifiables, des vengeances à froid). Comment ne pas frémir devant la cruelle lucidité de la science.

À ce règne de l’angoisse toute puissante succède celui de la nausée.

Nous avons été écoeurés devant l’apparente inaptitude de l’homme à corriger les maux. Devant l’inutilité de nos efforts, devant la vanité de nos espoirs passés.

Depuis des siècles, les généreux objets de l’activité poétique sont voués à l’échec fatal sur le plan social, rejetés violemment des cadres de la société avec tentative ensuite d’utilisation dans le gauchissement irrévocable de l’intégration, de la fausse assimilation.

Depuis des siècles, les splendides révolutions aux seins regorgeant de sève sont écrasées à mort après un court moment d’espoir délirant, dans le glissement à peine interrompu de l’irrémédiable descente:
les révolutions françaises
la révolution russe
la révolution espagnole
avortées dans une mêlée internationale malgré les voeux impuissants de tant d’âmes simples du monde.

Là encore, la fatalité fut plus forte que la générosité.

Ne pas avoir la nausée devant les récompenses accordées aux grossières cruautés, aux menteurs, aux faussaires, aux fabricants d’objets mort-nés, aux affineurs, aux intéressés à plat, aux calculateurs, aux faux guides de l’humanité, aux empoisonneurs des sources vives.

Ne pas avoir la nausée devant notre propre lâcheté, notre impuissance, notre fragilité, notre incompréhension.
Devant les désastres de notre amour…
En face de la constante préférence accordée aux chères illusions contre les mystères objectifs.

Où est le secret de cette efficacité de malheur imposée à l’homme et par l’homme seul, sinon dans notre acharnement à défendre la civilisation qui préside aux destinées des nations dominantes.

Les États-Unis, la Russie, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne: héritières à la dent pointue d’un seul décalogue, d’un même évangile.

La religion du Christ a dominé l’univers. Vous voyez ce qu’on en a fait: des fois soeurs sont passées à des exploitations soeurettes.

Supprimez les forces précises de la concurrence des matières premières, du prestige, de l’autorité et elles seront parfaitement d’accord. Donnez la suprématie à qui il vous plaira, et vous aurez les mêmes résultats fonciers, sinon avec les mêmes arrangements des détails.

Toutes sont au terme de la civilisation chrétienne.

La prochaine guerre mondiale en verra l’effondrement dans la suppression des possibilités de concurrence internationale.

Son état cadavérique frappera les yeux encore fermés.

La décomposition commencée au XlVe siècle donnera la nausée aux moins sensibles.

Son exécrable exploitation, maintenue tant de siècles dans l’efficacité au prix des qualités les plus précieuses de la vie, se révélera enfin à la multitude de ses victimes: dociles esclaves d’autant plus acharnés à la défendre qu’ils étaient plus misérables.

L’écartèlement aura une fin.

La décadence chrétienne aura entraîné dans sa chute tous les peuples, toutes les classes qu’elle aura touchées, dans l’ordre de la première à la dernière, de haut en bas.

Elle atteindra dans la honte l’équivalence renversée des sommets du XIIIe.

Au XIIIe siècle, les limites permises à l’évolution de la formation morale, des relations englobantes du début atteintes, l’intuition cède la première place à la raison. Graduellement l’acte de foi fait place à l’acte calculé. L’exploitation commence au sein de la religion par l’utilisation intéressée des sentiments existants immobilisés; par l’étude rationnelle des textes glorieux au profit du maintien de la suprématie obtenue spontanément.

L’exploitation rationnelle s’étend lentement à toutes les activités sociales: un rendement maximum est exigé.

La foi se réfugie au coeur de la foule, devient l’ultime espoir d’une revanche, l’ultime compensation. Mais là aussi, les espoirs s’émoussent.

En haut lieu, les mathématiques succèdent aux spéculations métaphysiques devenues vaines.

L’esprit d’observation succède à celui de transfiguration.

La méthode introduit les progrès imminents dans le limité. La décadence se fait aimable et nécessaire: elle favorise la naissance de nos souples machines au déplacement vertigineux, elle permet de passer la camisole de force à nos rivières tumultueuses en attendant la désintégration à volonté de la planète. Nos instruments scientifiques nous donnent d’extraordinaires moyens d’investigation, de contrôle des trop petits, trop rapides, trop vibrants, trop lents ou trop grands pour nous. Notre raison permet l’envahissement du monde, mais où nous avons perdu notre unité.

L’écartèlement entre les puissances psychiques et les puissances raisonnantes est près du paroxysme.

Les progrès matériels, réservés aux classes possédantes, méthodiquement freinés, ont permis l’évolution politique avec l’aide des pouvoirs religieux (sans eux ensuite) mais sans renouveler les fondements de notre sensibilité, de notre subconscient, sans permettre la pleine évolution émotive de la foule qui seule aurait pu nous sortir de la profonde ornière chrétienne.

La société née dans la foi périra par l’arme de la raison: L’INTENTION.

La régression fatale de la puissance morale collective en puissance strictement individuelle et sentimentale, a tissé la doublure de l’écran déjà prestidigieux du savoir abstrait sous laquelle la société se dissimule pour dévorer à l’aise les fruits de ses forfaits.

Les deux dernières guerres furent nécessaires à la réalisation de cet état absurde. L’épouvante de la troisième sera décisive. L’heure H du sacrifice total nous frôle.

Déjà les rats européens tentent un pont de fuite éperdue sur l’Atlantique. Les événements déferleront sur les voraces, les repus, les luxueux, les calmes, les aveugles, les sourds.

Ils seront culbutés sans merci.

Un nouvel espoir collectif naîtra.

Déjà il exige l’ardeur des lucidités exceptionnelles, l’union anonyme dans la foi retrouvée en l’avenir, en la collectivité future.

Le magique butin magiquement conquis à l’inconnu attend à pied d’oeuvre. Il fut rassemblé par tous les vrais poètes. Son pouvoir transformant se mesure à la violence exercée contre lui, à sa résistance ensuite aux tentatives d’utilisation (après plus de deux siècles, Sade reste introuvable en librairie; Isidore Ducasse, depuis plus d’un siècle qu’il est mort, de révolutions, de carnages, malgré l’habitude du cloaque actuel reste trop viril pour les molles consciences contemporaines).

Tous les objets du trésor se révèlent inviolables par notre société. Ils demeurent l’incorruptible réserve sensible de demain. Ils furent ordonnés spontanément hors et contre la civilisation. Ils attendent pour devenir actifs (sur le plan social) le dégagement des nécessités actuelles.

D’ici là notre devoir est simple.

Rompre définitivement avec toutes les habitudes de la société, se désolidariser de son esprit utilitaire. Refus d’être sciemment au-dessous de nos possibilités psychiques. Refus de fermer les yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du savoir, du service rendue, de la reconnaissance due. Refus d’un cantonnement la seule bourgade plastique, place fortifiée mais facile d’évitement. Refus de se taire — faites de nous ce qu’il vous plaira mais vous devez nous entendre — refus de la gloire, des honneurs (le premier consenti): stigmates de la nuisance, de l’inconscience, de la servilité. Refus de servir, d’être utilisables pour de telles fins. Refus de toute INTENTION, arme néfaste de la RAISON. À bas toutes deux, au second rang!

Place à la magie! Place aux mystères objectifs!
Place à l’amour!
Place aux nécessités!

Au refus global nous opposons la responsabilité entière.

L’action intéressée reste attachée à son auteur, elle est mort-née.

Les actes passionnels nous fuient en raison de leur propre dynamisme.

Nous prenons allégrement l’entière responsabilité de demain. L’effort rationnel, une fois retourné en arrière, il lui revient de dégager le présent des limbes du passé.

Nos passions façonnent spontanément, imprévisiblement, nécessairement le futur.

Le passé dut être accepté avec la naissance, il ne saurait être sacré. Nous sommes toujours quittes envers lui.

Il est naïf et malsain de considérer les hommes et les choses de l’histoire dans l’angle amplificateur de la renommée qui leur prête des qualités inaccessibles à l’homme présent. Certes, ces qualités sont hors d’atteinte aux habiles singeries académiques, mais elles le sont automatiquement chaque fois qu’un homme obéit aux nécessités profondes de son être; chaque fois qu’un homme consent à être un homme neuf dans un temps nouveau. Définition de tout homme, de tout temps.

Fini l’assassinat massif du présent et du futur à coup redoublé du passé.

Il suffit de dégager d’hier les nécessités d’aujourd’hui. Au meilleur demain ne sera que la conséquence imprévisible du présent.

Nous n’avons pas à nous en soucier avant qu’il ne soit.

RÈGLEMENT FINAL DES COMPTES

Les forces organisées de la société nous reprochent notre ardeur à l’ouvrage, le débordement de nos inquiétudes, nos excès comme une insulte à leur mollesse, à leur quiétude, à leur bon goût pour ce qui est de la vie (généreuse, pleine d’espoir et d’amour par habitude perdue).

Les amis du régime nous soupçonnent de favoriser la « Révolution », les aquis de la « Révolution », de n’être que des révoltés: « …nous protestons contre ce qui est, mais dans l’unique désir de le transformer, non de le changer. »

Si délicatement dit que ce soit, nous croyons comprendre.

Il s’agit de classe.

On nous prête l’intention naïve de vouloir « transformer » la société en remplaçant les hommes au pouvoir par d’autres semblables. Alors, pourquoi pas eux, évidemment!

Mais c’est qu’eux ne sont pas de la même classe! Comme si changement de classe impliquait changement de civilisation, changement de désirs, changement d’espoir!

Ils se dévouent à salaire fixe, plus un boni de vie chère, à l’organisation du prolétariat; ils ont mille fois raison. L’ennui est qu’une fois la victoire bien assise, en plus des petits salaires actuels, ils exigeront sur le dos du même prolétariat, toujours, et toujours de la même manière, un règlement de frais supplémentaires et un renouvellement à long terme, sans discussion possible.

Nous reconnaissons quand même qu’ils sont dans la lignée historique. Le salut ne pourra venir qu’après le plus grand excès de l’exploitation.

Ils seront cet excès.

Ils le seront en toute fatalité sans qu’il y ait besoin de quiconque en particulier. La ripaille sera plantureuse. D’avance nous en avons refusé le partage.

Voilà notre « abstention coupable ».

À vous la curée rationnellement ordonnée (comme tout ce qui est au sein affectueux de la décadence); à nous l’imprévisible passion; à nous le risque total dans le refus global.

(Il est hors de volonté que les classes sociales se soient succédées au gouvernement des peuples sans pouvoir autre chose que poursuivre l’irrévocable décadence. Hors de volonté que notre connaissance historique nous assure que seul un complet épanouissement de nos facultés d’abord, et, ensuite, un parfait renouvellement des sources émotives puissent nous sortir de l’impasse et nous mettre dans la voie d’une civilisation impatiente de naître).

Tous, gens en place, aspirants en place, veulent bien nous gâter, si seulement nous consentions à ménager leurs possibilités de gauchissement par un dosage savant de nos activités.

La fortune est à nous si nous rabattons nos visières, bouchons nos oreilles, remontons nos bottes et hardiment frayons dans le tas, à gauche à droite.

Nous préférons être cyniques spontanément, sans malice.

Des gens aimables sourient au peu de succès monétaire de nos expositions collectives, ils ont ainsi la charmante impression d’être les premiers à découvrir leur petite valeur marchande.

Si nous tenons exposition sur exposition, ce n’est pas dans l’espoir naïf de faire fortune. Nous savons ceux qui possèdent aux antipodes d’où nous sommes. Ils ne sauraient impunément risquer ces contacts incendiaires.

Dans le passé, des malentendus involontaires ont permis seuls de telles ventes.

Nous croyons ce texte de nature à dissiper tous ceux de l’avenir.

Si nos activités se font pressantes, c’est que nous ressentons violemment l’urgent besoin de l’union.

Là, le succès éclate!

Hier, nous étions seuls et indécis.

Aujourd’hui un groupe existe aux ramifications profondes et courageuses; déjà elles débordent les frontières.

Un magnifique devoir nous incombe aussi: conserver le précieux trésor qui nous échoit. Lui aussi est dans la lignée de l’histoire.

Objets tangibles, ils requièrent une relation constamment renouvelée, confrontée, remise en question. Relation impalpable, exigeante qui demande les forces vives de l’action.

Ce trésor est la réserve poétique, le renouvellement émotif où puiseront les siècles à venir. Il ne peut être transmis que TRANSFORME, sans quoi c’est le gauchissement.

Que ceux tentés par l’aventure se joignent à nous.

Au terme imaginable, nous entrevoyons l’homme libéré de ses chaînes inutiles, réalisé dans l’ordre imprévu, nécessaire de la spontanéité, dans l’anarchie resplendissante, la plénitude de ses dons individuels.

D’ici là, sans repos ni halte, en communauté de sentiment avec les assoiffés d’un mieux-être, sans crainte des longues échéances, dans l’encouragement ou la persécution, nous poursuivrons dans la joie notre sauvage besoin de libération.

Paul-Emile Borduas

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Moulin à paroles : 24 heures moins 12 minutes

L’événement Moulin à paroles a pris fin hier, le dimanche 14 septembre 2009. La foule a entonné – ai-je lu dans Le Devoir -, À la Claire fontaine puis, Gens du pays, de Gilles Vigneault.  Nous avions quitté les Plaines. Il fallait bien manger de la nourriture terrestre, après ces heures de grand festin pour l’âme.

Pendant deux semaines – et sans doute dans les prochains jours à la UNE des médias électroniques et en manchette à l’électronique, on parlera de ces douze minutes pendant lesquelles Luc Mervil a occupé la scène en proposant une lecture forte d’un texte qui a fait couler trop de sang, d’abord, et et d’encre plus récemment.

Avant, juste avant, Paul Ahmarani avait dit et chanté à capella la magnifique Suzanne, du grand poète montréalais Leonard Cohen. En anglais. Et entouré des frissons d’émotion des milliers de personnes qui, depuis plusieurs heures, s’imprégnaient de grands textes et de mémoire. Suzanne, c’est aussi partie prenante de ce nous sommes.  Après, juste après, Jean Barbe a lu avec une sobriété remarquable la Lettre de Pierre Laporte à Bourassa pendant sa captivité en octobre 1970. Avant sa mort. La foule que j’ai senti n’a pas reçu ce texte comme une accusation contre l’ancien premier ministre libéral. J’ai eu le sentiment qu’elle voyait défiler bien d’autres otages depuis – en Irak, en Iran, en Colombie… – s’interrogeant sur la juste conduite à adopter par les gardiens de l’État dans de telles circonstances.

Et avant les douze minutes ( Luc Mervil est monté sur scène deux fois, six minutes à chaque fois), longtemps avant, et après, longtemps après, le Moulin à paroles a donné la voix à 153 textes, d’un Extrait de la Flore Laurentienne du Frère Marie-Victorin, lu par Pierre Morency à Oh when de saints, un texte créé pour l’occasion par le poète André Ricard et lu par son fils Sébastien.

***

Avant mon départ pour Québec, j’écrivais y aller pour « écouter, je l’espère, des textes qui permettront de comprendre  d’où nous venons et ce que nous sommes devenus – dans ce cas ci les Québécois -,  avant et après le Manifeste du FLQ. Les quelques minutes annoncées de lecture de ce texte ont, depuis deux semaines, occupé tellement d’espace médiatique, à l’écrit et à l’électronique, que le risque est grand que le sens – et les travers –  de cet événement se perdent dans les Une et les manchettes qui suivront.».

Je m’inquiétais inutilement. Le sens de cet événement n’a pas échappé aux milliers de personnes venus écouter en silence, et avec une attention remarquable, quelques minutes ou les 24 heures du moulin et les milliers d’autres qui ont suivi leur diffusion intégrale à l’antenne de Vox.  Ce que les médias en retiendrons pendant les prochaines heures importe peu. D’autres nouvelles feront taire le Moulin à paroles. Mais je parie que fondamentalement, ce Moulin à paroles  restera dans la Mémoire longtemps.

En route vers le Moulin à paroles, sur le ROCK des Plaines d’Abraham

Je suis de retour sur terre. C’est ainsi que les gens souvent parlent de leur retour à la maison, après un voyage. Pas moi. J’étais sur la Terre. D’autant plus que j’étais sur le Rocher. The ROCK. Des roches à perte de vue. En fait, j’étais et je suis toujours sur la Terre. Profondément consciente du sol sur lequel je marche. Aujourd’hui sur les trottoirs bétonnés du Vieux-Rosemont. Et demain – pour vrai, demain – sur les Plaines d’Abraham. En foulant des pneus de mon auto le bitume de la 20, entre Montréal et Québec et puis, en empruntant le boulevard Champlain, au bord des grandes eaux du Saint-Laurent et des autres…

Quai des flots. Photo : CCNQ Jonathan Robert (tous droits réservés mais disponible sur Flicker...)

Quai des flots. Photo : CCNQ Jonathan Robert (tous droits réservés mais disponible sur Flicker...)

Je n’ai pas vraiment quitté Terre-Neuve, même si j’ai retrouvé avec  bonheur le confort de mon foyer, à Montréal. Et je ne quitterai pas vraiment Rosemont  en allant à Québec pour écouter et pour voir le Moulin à Paroles. Pour écouter, je l’espère, des textes qui permettront de comprendre  d’où nous venons et ce que nous sommes devenus – dans ce cas ci les Québécois -,  avant et après le Manifeste du FLQ. Les quelques minutes annoncées de lecture de ce texte ont, depuis deux semaines, occupé tellement d’espace médiatique, à l’écrit et à l’électronique, que le risque est grand que le sens – et les travers –  de cet événement se perdent dans les Une et les manchettes qui suivront.

On verra si nous vaincrons. Nous? Ceux et celles, d’où qu’ils ou elles soient et vivent – qui cherchent une Terre meilleure, et qui la cherchent  au-delà des chapelles, des idéologies, des fédéralismes et des nationalismes. Cette Terre, c’est, au fond, ma seule destination. À Terre-Neuve, dans la Vallée de la Mort, à Montréal, à Québec et certainement bientôt ailleurs. Ou ici? Nous sommes toujours ici. Et demain, ici, pour moi, ce sera Québec. Je raconterai.

ps. je reviendrai à Terre-Neuve bientôt. Je prépare un festival en différé. « Fiddle, Fiddler, Fidler» et autres F tels Fog, Folk  et Femme. Avant de mettre le cap sur Montréal et ailleurs sur Terre.

Stephen, le musicien, et Noé, son chien terre-neuve.

Je les avais vus en 2008, aux abords du lac Quidividi, le jour des St.John’s Royal Regatta, la plus ancienne compétition sportive en continu en Amérique du Nord, que j’avais racontée dans Le Devoir.

En fait, j’avais surtout porté mon attention sur Noé, un majestueux chien terre-neuve noir. Il était fidèlement assis derrière son maître, qui chantait et jouait de la guitare. J’avais pris une photo de Noé et de son maitre – de dos – un peu comme une voleuse ou une voyeuse. Et j’avais poursuivi ma route.

Noé et son maître chanteur

Noé et son maître chanteur

Pas cette fois. Quand j’ai aperçu le maître de Noé, ce matin, je lui ai demandé s’il était là l’an dernier. Il m’a dit oui avec un grand sourire et, reconnaissant mon accent, il m’a immédiatement parlé de son amour du Québec. De son amour pour la Ville de Québec. Et plus précisément des musiciens de rue et des amuseurs de rue de la capitale du Québec.

Montrant son CD, Road Home, Stphen Doiron m’a raconté que la production de cet album avait été rendue possible par ses amis artistes méconnus mais combien généreux qui animent les touristes autour des remparts.

Doiron. C’est bien un nom de famille francophone. Et qui vient du Québec en plus. Stephen est pourtant né à Terre-Neuve, d’une mère anglophone qui avait hérité du nom de son père, né, lui à Dorval. Stephen, lui, n’a jamais connu son père et porte donc le nom de sa mère, donc de son grand-père Doiron.

Ce grand-père, Phil de son prénom, a fait craqué la mère de Stephen, une Terre-Neuvienne, lors d’un accostage de son bateau à St.John’s. «Il était un musicien extraordinaire, qui jouait de plusieurs instruments et qui avait une voix magnifique. Il parlait au moins six langues», m’a dit Stephen. Phil, selon ce qu’on lui a raconté, n’était pas particulièrement beau. Il charmait par sa voie. Et sans doute par autre chose. Car au gré de ses accostages à St.John’s, il a fait à la grand-mère de Stephen 16 enfants. Et un jour, femme et enfants ne l’ont plus jamais revu.  Disparu dans les eaux troubles d’une mer agitée ou dans les bras d’une autre grand-mère vivant dans des eaux plus paisibles? Mystère.

Phil a hérité de son grand-père une voix et un talent musical évident. Mais aussi un goût de barouder dans les eaux troubles et paisibles de notre petite planète. C’est comme ça qu’il est atterri à Québec. Entretemps, il avait fait quelques enfants à une terre-neuvienne qui elle, il y a deux ans, a fait comme le grand-père de Stephen. Elle est partie vers une destination inconnue, sans même donner le nom d’une ville pour y recevoir des nouvelles poste restante.

Pour l’aider à payer son billet de retour vers sa ville natale pour y prendre soin de ses enfants, ses amis musiciens de la rue et amuseurs publics de Québec ont allongé des dollars, lui ont trouvé un studio d’enregistrement et ont permis qu’il trimballe, avec sa guitare et Noé, son CD Road Home.

Le maître de Noé, Stephen Doiron.

Le maître de Noé, Stephen Doiron.

Si vous passez aux abords du lac Quidividi en 2010, le jour des Régates, et que vous apercevez un majestueux chien  terre-neuve fidèlement assis,  prenez quelques instants pour écouter la voix et la guitare de son maître.  Et dites-vous que le 20$ que vous échangerez contre Road Home sera tout, sauf de la charité. Stephen a certes une histoire de vie émouvante mais il a surtout, une voix et du talent. Si, en plus, vous aimez les ballades country-folk, vous serez choyés.

Petite histoire de chansons cultes du Québec et du Rock

Living in a Fog, de Wonderful Grand Band, un album culte terre-neuvien.

Living in a Fog, de Wonderful Grand Band, 1978.

Ce que vous voyez ici est la pochette de l’album vinyle Living in a Fog du groupe terre-neuvien très populaire dans les années 1970 et au début des années 1980 : The Wonderful Grand Band. Cet album contient une chanson devenue culte, écrite par une jeune inconnu – à l’époque.

Au Québec, à la même époque, un jeune inconnu – à l’époque – et inconnu du jeune inconnu de Terre-Neuve, a composé une chanson devenue culte. Elle a été endisquée sur l’album Beau Dommage, du groupe du même nom et également très populaire dans les années 1970 et au début des années 1980.

Les deux groupes se sont séparés et les jeunes inconnus de l’époque ont poursuivi leur carrière en solo.

Pochette de l'album éponyme de Beau dommage, 1974.

Pochette de l'album éponyme de Beau dommage, 1974.

Ces jeunes inconnus sont les auteurs-compositeurs-interprètes  Ron Hynes et Michel Rivard. Et les chansons qu’ils avaient composé dans la jeune vingtaine ont pour titre «Sonny’s Dream» et la «Complainte du phoque en Alaska».

Plus de trente ans plus tard, on chante encore Sonny’s Dream et la Complainte du phoque en Alaska. Que l’un ou l’autre les entonnent dans un spectacle ou un festival, et l’assistance chante avec eux.

Malgré la prise de son horrible et des images aux flous absolument pas artistiques, un démontre l’enthousiasme des foules à l’apparition de Ron Hynes et, surtout, lorsque si guitare laisse devenir qu’il chantera Sonny’s Dream. Sur cette vidéo, l’ex de Wonderfull Grand Band est en compagnie d’Alan Doyle, le chanteur du groupe terre-neuvien Great Big Sea, et de plusieurs autres artistes populaires de Terre-Neuve à l’occasion d’un festival tenu à Gander.

Sur cet autre vidéo, à la qualité technique toute aussi médiocre que le premier, Michel Rivard interprète le Phoque en Alaska en spectacle sur les Plaines d’Abraham, à Québec.

Peu de chansons ont été, à ce point, adoptées par des sociétés toute entière et continuent de l’être, de générations en générations. Elles ont été toutes deux écrites par des artistes dans la jeune vingtaine qui avaient su, simplement, saisir l’âme de leurs gens.