À Bruno. Renard soleil levant à Fogo Island

À Brun0*

Autoportrait soleil levant et Penton-le-renard. Joe Batt's Arm, Fogo Island, Terre-Neuve. Janvier 2010. Photo : Jacinthe Tremblay

Quel temps fait-il à Terre-Neuve? Cette  question est revenue sans cesse dans mes échanges de courriel ou téléphoniques avec des proches de Montréal ou d’ailleurs pendant mon récent séjour dans ma Neuve Terre.  «C’est l’été!», a rigolé  le matin de mon départ de Fogo Island, le 7 janvier 2010, un parmi les milliers de Penton de  Joe Batt’s Arm, sur l’île de Fogo. Il exagérait bien évidemment côté météo, tout comme je gonfle indûment le nombre de Penton de Joe Batt’s, une communauté qui compte quelques centaines d’âmes, au plus. N’empêche, le temps qu’il faisait là, ici, comme ailleurs, était, je dirais, curieux.  Pas de neige en janvier, c’était du jamais vu pour les vieux de la place. Quant aux Penton, ils sont très nombreux à Joe Batt’s Arm. Et, ce qui est le plus étonnant, ils ne sont pas tous frères et soeurs, ni même cousins et cousines.

Quand j’ai conversé avec le Penton qui constatait, ce matin là, que l’hiver est à l »envers, je revenais d’une ballade de prospection de caribous amorcée aux aurores, puisque c’est aux aurores que, les jours précédents, On (j’ai appris à l’école primaire que On, c’est à peu près tout le monde, une sorte de Nous qui exclue la personne qui parle) en avait aperçu 20, 50 et même jusqu’à 200 dans les environs de l’aire de jeux d’enfants, au bout d’une voie publique nommée, je dirais,  Penton. Léo (Penton) allait même jusqu’à dire que si je n’en voyais aucun lors d’une marche aux aurores, j’en verrais certainement le lendemain.   Était-ce un pieux mensonge pour m’inciter à rester plus longtemps sur l’île? Ce serait de bonne guerre. Toujours est-il que le 7 janvier 2010,  aux aurores, aucun caribou ne s’est montré le bout du museau au bout de l’artère sans doute nommée Penton.

Une faune différente m’attendait toutefois sur la route. M’attendait-il au fait, ce renard quasi domestique? Chose certaine, Penton – pourquoi pas? –  m’épiait depuis plusieurs minutes quand il s’est rapproché puis a fait quelques pas devant moi, révélant ainsi sa présence et amorçant, du même coup, un petit jeu de «devine où je suis» auquel il s’est livré pendant une bonne trentaine de minutes. Dès que  ce Penton a eu la certitude que j’étais consciente de son existence, il a tôt fait de disparaître derrière un muret de pierre. Juste avant de se soustraire à mon regard, il s’est arrêté quelques instants et il m’a regardé à la manière de Saku lorsqu’il entre dans sa zone de fugue. J’ai alors cru ne plus jamais le revoir. Erreur, il se préparait à ressusciter une centaine de mètres plus loin, bien en vu sous un lampadaire. Il a alors fait mine de m’attendre, comme s’il était disposé à poursuivre la marche à mes côtés. Au pied? Comme un bon chien? Nenni. Quand je suis arrivée  à quelques mètres de lui, il s’est rapidement mais tout en douceur dirigé vers des ombres protectrices.  J’ai eu le temps d’aller au bout de la route constater l’absence de caribou(s), fumer une cigarette en regardant la lune et les étoiles se refléter dans l’eau calme de la baie de Joe Batt’s Arm puis de prendre le chemin du retour vers la maison avant de voir Penton-le-renard faire à nouveau irruption, cette fois, à moins de deux mètres de moi. Il s’est alors mis en position couché-prêt-pour-le-jeu que prend parfois Saku quand il voit un chien ami entrer dans l’enclos canin du parc Lafond, à Rosemont. Je n’ai même pas osé penser que je pourrais m’approcher de lui au point de le cajoler.

Je suis tout simplement demeurée immobile, en silence. Et c’est alors qu’il m’a honoré d’un long moment de mouvements circulaires, là, sous mes yeux et à mes pieds. Je me suis imaginée qu’à sa manière, il dansait pour moi. Et j’ai aussi espéré qu’il m’accompagnerait pour le reste de ma route. Je me trompais, bien sûr. Un renard, même s’il a des allures de chien, demeure, fondamentalement, une bête sauvage assoiffée, par dessus tout, de liberté.

Il a ensuite poussé la confiance et la complicité jusqu’à me laisser le prendre en photo.  Même le clic ne l’a pas fait fuir. Il savait sans doute déjà que les images de lui que je pourrais glaner seraient, au mieux, impressionnistes. Il pourrait donc préserver un certain mystère sur son identité tout en me permettant de faire la preuve de notre rencontre.

Penton-le-renard, Joe Batt's Arm, Fogo Island, Terre-Neuve. Photo : Jacinthe Tremblay

Quelle serait la morale de cette histoire vécue, selon Jean de la Fontaine, lui qui en a tant puisé chez les renards, justement? Je n’ai pas cherché à le savoir. J’ai trouvé la mienne.

Certains êtres humains sont, comme les renards, impossibles à domestiquer. Au sens de perdre leur liberté pour se plier aux diktats, et même aux désirs légitimes de rapprochement, d’autres êtres humains. Ils se rapprochent pour autant que l’on respecte ce qu’ils sont. Au risque même d’en crever. De faim et de solitude. C’est leur choix. Rien à faire. Sauf apprécier les moments rares pendant lesquels ils dansent pour nous. Et même ceux pendant lesquels, faisant mine de fuir, ils se préparent à ressurgir encore plus près. Si nous gardons le silence et demeurons immobiles. Alors là, ils danseront peut-être encore. Et se laisseront prendre en photo. Pour laisser une preuve que notre récit n’est pas une fable, mais la trace de beaux moments.

Penton-le-renard dansant soleil levant, Joe Batt's Arm, Fogo Island, Terre-Neuve. Photo : Jacinthe Tremblay

Écrit en partie à Terre-Neuve et après mon retour à Montréal, janvier 2010.

* J’ai commencé l’écriture de ce texte avant d’apprendre le décès de Bruno Roy. Vous pourrez en apprendre plus sur le personnage public qu’était Bruno en consultant le lien précédent. De toutes les morts qui ne cessent de défiler à la Une des médias depuis quelques semaines (Falardeau, Carle, etc.), c’est celle de Bruno qui m’a le plus touchée. Je me permets le Bruno parce qu’au fil de plusieurs années de rencontres formelles et informelles de co-membership au conseil d’administration de Copibec (la Société québécoise des droits de reprographie), Bruno était devenu mon ami. De combat pour le respect du droit d’auteur. Mais surtout d’affection. De ces gros et si bienfaisants HUGS, sans équivoque, entre un homme et une femme.

Notre dernier HUG, c’était pendant le Moulin à paroles, sur les Plaines d’Abraham, en septembre 2009.  Écrire, comme une écrivaine. Il visitait ce petit site quant je l’invitais à le faire. Et il m’avait dit aimer que peu importe ce que j’écrivais, y compris des articles pour La Presse AFFAIRES, il y avait toujours un côté social dans mes articles. Nous avons rigolé de mon passage de journaliste à la UNE à blogueuse. Et il m’avait alors encouragé à poursuivre mes récits de voyage et m’avait même suggéré un éditeur. Après notre rencontre au Moulin, je lui avais envoyé un courriel :

Bonjour Bruno,

je t’ai revu hier avec un immense plaisir. J’espère qu’il y aura d’autres occasions de rencontres. Ou nous les provoquerons. Je te renvoie le lien avec mon petit blogue. https://neuveterre09.wordpress.com. Tu peux aussi y accéder par, plus simplement – www.jacinthetremblay.com

J’ai écrit trois textes sur le Moulin. Un avant et deux depuis.

Et par la magie des nuages de mots-clés, tu pourras aussi aller te balader à Terre-Neuve… Ils font partie de ce que vois de plus en plus comme des segments de carnets de voyage que j’y publie depuis janvier dernier, entre des histoires de chien urbain et de récoltes de milles aériens.

Au plaisir

Jacinthe

Le texte que je portais particulièrement à son attention était celui-ci. Son titre est : « Au refus global, nous opposons la responsabilité entière».

Quelques heures plus tard, le le 15 septembre 2009, j’ai reçu ce courriel.

Jacinthe,

Viens de lire tes commentaires liés à l’événement qui est devenu un avènement de la parole. Je partage entièrement ton point de vue.

Bravo.

C’est, et ce sera, ma dernière rencontre avec Bruno. Mais quand j’ai appris sa mort, j’ai imaginé qu’il avait glissé ailleurs, doucement, pendant que je regardais la lune et les étoiles, à Joe Batt’s Arm, Fogo Island, Terre-Neuve, le 7 janvier 2010. Et que j’écrivais déjà, dans ma tête, ce segment de carnet de voyages qye fut ma rencontre avec Penton-le renard, la bête sauvage délicieuse qui a dansé pour moi, cette nuit de son grand départ.

Recette urbaine 2009

Lors de mes courses des derniers jours en prévision de Noël, j’ai constaté que le cadeau «fait maison» était très tendance. Je ne compte plus le nombre de pots de verre destinés à accueillir des confitures aux alcools exotiques; des pâtés de cailles, de faisans et autres oiseaux singuliers en attente de traitement par des caissières. Les suggestions de délices «faits maison» – vite fait, il va sans dire – pullulent dans toutes les émissions de service.

Ayant moi-même succombé à cette tendance lourde, j’ai donc cherché un mets vraiment original à présenter à mes complices de Réveillon. Et j’ai trouvé ceci : ULTRA tendance. IMPOSSIBLE DE TROUVER PLUS LOCAL ET RESPONSABLE   : la bestiole à la base de cette recette se retrouve en abondance dans les villes. Elle vient d’ailleurs régulièrement narguer Saku sur mon balcon. Comme rien n’est parfait, sachez toutefois qu’il est illégal de la chasser en vertu des lois canadiennes. Si vous ne craignez pas les foudres des agents de conservation de la faune, osez donc ce mets pour terminer en beauté l’année 2009.

ECUREUIL AU VIN BLANC

2 à 4 écureuils

1 tasse de consommé

1 tasse de vin blanc

1 oignon moyen émincé

1/4 de c. à thé de romarin

1 c. à soupe de persil émincé

1 c. à thé de sel

1/4 de c. à thé de poivre

2 oeufs battus

1 tasse de farine de maïs

1/4 de livre de beurre

1 gousse d’ail

1- Porter à ébullition le consommé, le vin blanc, l’oignon, le romarin, le persil, le sel et le poivre.

2- Couper les écureuils en portions individuelles et les plonger dans le liquide bouillant. Couvrir et laisser mijoter pendant 10 minutes. Retirer les morceaux d’écureuil et laisser mijoter le bouillon pendant 30 minutes.

3- Rouler les morceaux d’écureuil dans l’oeuf battu et ensuite dans la farine de maïs. Laisser reposer dix minutes et recommencer l’opération, dans les oeufs et ensuite dans la farine de maïs.

4- Fendre la gousse d’ail en deux et la faire dorer dans le beurre. La retirer et ensuite faire dorer les morceaux d’écureuil dans le beurre à l’ail, à feu lent, de 20 à 30 minutes ou jusqu’à ce que les écureuils soient tendres.

5- Pour faire la sauce au jus de cuisson, ajouter 2/3 à 1 tasse du consommé au mélange de viande. Remuer à feu lent jusqu’à ce que le tout épaississe légèrement.

Recette dénichée dans la première édition de l’Encyclopédie de la cuisine canadienne, Jehane Benoit, 1963.

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Jehane Benoit.

Quand les organisateurs du Moulin à paroles ont annoncé qu’ils avaient retenu un texte de Jehane Benoit dans la liste des oeuvres qui seraient lues lors de cet événement, plusieurs commentateurs ont tourné ce choix en dérision.  C’était bien mal connaître l’apport de cette femme d’exception à l’ouverture du Québec sur le monde. des saveurs et plus encore. Dans l’extrait de son oeuvre lu pendant cet événement, elle offrait aux habitants de la basse côte nord du Québec une recette de loup marin – phoque – destinée à suppléer à la baisse drastique des stocks de poisson. Le mets pouvait être préparé avec quelques légumes cultivables dans cette région nordique aux étés très courts.

La première édition de son Encyclopédie, en 1963,  a fait le bonheur de milliers de femmes qui découvraient de nouvelles façons d’apprêter les ingrédients les plus simples et surtout, les principes de l’art culinaire.  Je me rappelle encore l’engouement créé par sa diffusion à l’épicerie de Dominique Leblanc, à Sayabec, où j’accompagnais ma mère. Elle, comme mes tantes et ses amies, attendaient avec impatience sa livraison au fil des semaines, chapitre par chapitre, cette année-là. De retour de leurs courses, elles entraient ses nouveaux arrivages dans une reliure rigide.

Encore aujourd’hui, cette édition de 1963 demeure un de mes livres de cuisine de référence. Elle a, avec les ans, les déménagements et la proximité de la farine, perdu une partie de sa couverture rigide et de sa table des matières. Je persiste toutefois à la garder comme un trésor, la préférant même à la plus récente Nouvelle encyclopéfie de la cuisine canadienne, parue en 1981, héritée de mon père.

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Mon bonheur que  Jehane Benoit ait été choisie parmi les auteurs mis en valeur lors du Moulin à paroles tient donc à la place qu’occupe ce livre dans ma vie, mais  aussi, à son parcours personnel, comme en témoignent ses notes biographiques dans  l’Encyclopédie Wikipédia : «Fille de Marie-Louise Cardinal et d’Alfred Patenaude, homme d’affaires québécois, elle vit sa jeunesse à Westmount, un milieu luxueux. Elle est instruite au couvent du Sacré-Cœur et fréquente les familles anglophones montréalaises. Dans les années 1920, refusant la vie stéréotypée de ce milieu bourgeois, Jehane Benoît parvient à s’inscrire dans un pensionnat à Paris : le Cordon bleu. De retour au Québec, elle refuse de se plier aux conventions de l’époque et obtient d’étudier à la Sorbonne, où elle reçoit un diplôme comme chimiste en alimentation en 1925. Elle travaille notamment aux côtés d’Édouard de Pomiane, auteur d’un important livre de la gastronomie : Bien manger pour bien vivre. Parallèlement, elle assiste à différents spectacles mettant en vedette Édith Piaf et Colette. Elle en sort marquée par la culture européenne.

De retour au Québec, elle ouvre une école de cuisine laïque et bilingue (anglais et français) à Montréal : le Fumet de la Vieille France, qui connaîtra un bon succès (8 000 étudiants pendant ses quatre premières années). De 1935 à 1940, il est l’un des premiers restaurants au Canada à se spécialiser dans la cuisine végétarienne avec son (en) salad bar.

Vers la fin des années 1930, elle quitte son premier époux et tombe amoureuse de Bernard Benoît, son cadet de 13 ans qui fréquente les HEC à Montréal. Ils se retrouvent après la Seconde Guerre mondiale et, malgré la séparation vécue, ils sont toujours amoureux l’un de l’autre. C’est seulement en 1964 qu’ils se marient, suite au décès du premier mari de Jehane. Bernard Benoît, formé en administration, l’épaulera tout au long de sa carrière.

Au début des années 1950, elle entreprend la rédaction de livres de recettes. Publiés en français et en anglais, on y retrouve différents sujets : l’aliment, sa chimie, son histoire et son usage, des méthodes de cuisson, le choix des instruments, etc.

En 1956, les époux acquièrent une ferme à Sutton dans les Cantons-de-l’Est. Ce sera pour elle un lieu bucolique dédié à la cuisine. Cependant, à cette époque, son conjoint vit une liaison avec une autre femme, duquel il aura un enfant. Éventuellement, Jehane Benoît acceptera l’infidelité de son mari au point de recevoir cet enfant chez elle.

Dans les années 1960, elle se fait connaître dans le Canada anglais par sa participation à l’émission Take 30 de CBC. Au fil des ans, on la voit apparaître dans maintes publicités, tant à la télévision que dans des magazines. Elle participe aussi aux Femmes d’aujourd’hui, Les Marmitons, Bonjour Madame et The Young Chiefs (à CBC).

Son succès médiatique attire l’attention d’entreprises oeuvrant dans le domaine alimentaire. Elle signe des livres pour les fabricants de la bière Dow ou du riz Dainty et elle travaille pour le compte des Supermarchés Steinberg. En 1975, elle publie Madame Benoît’s Microwave Cook Book, traduit en français en 1976 sous le titre La Cuisine micro-ondes. Elle contribue ainsi à promouvoir la cuisson au four à micro-ondes. La compagnie Panasonic la met à contribution pour raffiner ses produits. En 1985, elle entreprend la publication en six volumes d’une encyclopédie de la cuisine micro-ondes.»

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Son écureuil au vin blanc ne vous fait pas saliver? Voici un des menus de Noêl de son Encyclopédie (édition 1963) :

Réveillon de Noël aux hors-d’oeuvre

Menu : Pâté éclair avec pain français. Trempette à l’indienne. Tartelettes florentines. Olives à la Sévillane. Noix de Grnoble épicées. POrc-épic aux raisins.

Détails en pages 949 et 950.

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Pour en savoir plus sur le Moulin à paroles, vous pouvez aussi relire mes billets sur cet événement, en cliquant ici.

La voie du Moulin à paroles : «Au refus global, nous opposons la responsabilité entière»

Le 13 septembre 2009, une femme de 84 ans s’est présentée sur la scène du kiosque Edwin-Bélanger, sur les plaines d’Abraham, à Québec, pour lire un texte intitulé Refus global, trop souvent réduit à un appel à un refus global lorsque présenté par son titre ou résumé en deux phrases courtes ou des clips de 30 secondes.

Françoise Sullivan, 13 septembre 2009, Québec. Photo : Jacques Nadeau

Françoise Sullivan, 13 septembre 2009, Québec. Photo : Jacques Nadeau

Françoise Sullivan a co-signé ce texte de Paul-Émile Borduas publié le 9 août 1948. Avec la voix chevrotante de ses 84 ans, cette grande artiste a réouvert la VOIE. À mes yeux. Et à ceux des milliers de personnes qui, sur les plaines d’abranham ou dans leur salon, ont écouté ce texte puissant du début à la fin. Ce texte, il faut le lire et le relire. Et démarrer des Moulins à paroles autour de ce texte, dans nos cuisines,  nos salons et dans l’espace public. Et ici.

Place à la version intégrale du texte Refus global.

Signataires du Refus Global -Magdeleine ARBOUR, Marcel BARBEAU, Bruno CORMIER, Claude GAUVREAU, Pierre GAUVREAU, Muriel GUILBAULT, Marcelle FERRON-HAMELIN, Fernand LEDUC, Thérèse LEDUC, Jean-Paul MOUSSEAU, Maurice PERRON, Louis RENAUD, Françoise RIOPELLE, Jean-Paul RIOPELLE, Françoise SULLIVAN.

Refus Global

Paul-Émile Borduas

Rejetons de modestes familles canadiennes françaises, ouvrières ou petites-bourgeoises, de l’arrivée du pays à nos jours restées françaises et catholiques par résistance au vainqueur, par attachement, arbitraire au passé, par plaisir et orgueil sentimental et autres nécessités.

Colonie précipitée dès 1760 dans les murs lisses de la peur, refuge habituel des vaincus; là, une première fois abandonnée. L’élite reprend la mer ou se vend au plus fort. Elle ne manquera plus de le faire chaque fois qu’une occasion sera belle.

Un petit peuple serré de près aux soutanes restées les seules dépositaires de la foi, du savoir, de la vérité et de la richesse nationale. Tenu à l’écart de l’évolution universelle de la pensée pleine de risques et de dangers, éduqué sans mauvaise volonté, mais sans contrôle, dans le faux jugement des grands faits de l’histoire quand l’ignorance complète est impraticable.

Petit peuple issu d’une colonie janséniste, isolé, vaincu, sans défense contre l’invasion, de toutes les congrégations de France et de Navarre, en mal de perpétuer en ces lieux bénis de la peur (c’est-le-commencement-de-la-sagesse!) le prestige et les bénéfices du catholicisme malmené en Europe. Héritières de l’autorité papale, mécanique, sans réplique, grands maîtres des méthodes obscurantistes, nos maisons d’enseignement ont, dès lors, les moyens d’organiser en monopole le règne de la mémoire exploiteuse, de la raison immobile, de l’intention néfaste.

Petit peuple qui, malgré tout, se multiplie dans la générosité de la chair sinon dans celle de l’esprit, au nord de l’immense Amérique au corps sémillant de la jeunesse au coeur d’or, mais à la morale simiesque, envoûtée par le prestige annihilant du souvenir des chefs-d’oeuvre d’Europe, dédaigneuse des authentiques créations de ses classes opprimées.

Notre destin sembla durement fixé.

Des révolutions, des guerres extérieures brisent cependant l’étanchéité du charme, l’efficacité du blocus spirituel.

Des perles incontrôlables suintent hors des murs.

Les luttes politiques deviennent âprement partisanes. Le clergé contre tout espoir commet des imprudences.

Des révoltes suivent, quelques exécutions capitales succèdent. Passionnément, les premières ruptures s’opèrent entre le clergé et quelques fidèles.

Lentement la brèche s’élargit, se rétrécit, s’élargit encore.

Les voyages à l’étranger se multiplient. Paris exerce toute l’attraction. Trop étendu dans le temps et dans l’espace, trop mobile pour nos âmes timorées, il n’est souvent que l’occasion d’une vacance employée à parfaire une éducation sexuelle retardataire et à acquérir, du fait d’un séjour en France, l’autorité facile en vue de l’exploitation améliorée de la foule au retour. À bien peu d’exceptions près, nos médecins, par exemple, (qu’ils aient ou non voyagé) adoptent une conduite scandaleuse (il-faut-bien-n’est-ce-pas-payer-ces-longues- années-d’études!)

Des oeuvres révolutionnaires, quand par hasard elles tombent sous la main, paraissent les fruits amers d’un groupe d’excentriques. L’activité académique a un autre prestige à notre manque de jugement.

Ces voyages sont aussi dans le nombre l’exceptionnelle occasion d’un réveil. L’impensable s’infiltre partout. Les lectures défendues se répandent. Elles apportent un peu de baume et d’espoir.

Des consciences s’éclairent au contact vivifiant des poètes maudits: ces hommes qui, sans être des monstres, osent exprimer haut et net ce que les plus malheureux d’entre nous étouffent tout bas dans la honte de soi et la terreur d’être engloutis vivants. Un peu de lumière se fait à l’exemple de ces hommes qui acceptent les premiers les inquiétudes présentes, si douleureuses, si filles perdues. Les réponses qu’ils apportent ont une autre valeur de trouble, de précision, de fraîcheur que les sempiternelles rengaines proposées au pays du Québec et dans tous les séminaires du globe.

Les frontières de nos rêves ne sont plus les mêmes.

Des vertiges nous prennent à la tombée des oripeaux d’horizons naguère surchargés. La honte du servage sans espoir fait place à la fierté d’une liberté possible à conquérir de haute lutte.

Au diable le goupillon et la tuque! Mille fois ils extorquèrent ce qu’ils donnèrent jadis.

Par delà le christianisme, nous touchons la brûlante fraternité humaine dont il est devenu la porte fermée.

Le règne de la peur multiforme est terminé.

Dans le fol espoir d’en effacer le souvenir je les énumère:
peur des préjugés – peur de l’opinion publique – des persécutions – de la réprobation générale
peur d’être seul sans Dieu et la société qui isole très infailliblement
peur de soi – de son frère – de la pauvreté
peur de l’ordre établi – de la ridicule justice
peur des relations neuves
peur du surrationnel
peur des nécessités
peur des écluses grandes ouvertes sur la foi en l’homme – en la société future
peur de toutes les formes susceptibles de déclencher un amour transformant
peur bleue – peur rouge – peur blanche : maillon de notre chaîne.

Du règne de la peur soustrayante nous passons à celui de l’angoisse.

Il aurait fallu être d’airain pour rester indifférents à la douleur des partis – pris de gaieté feinte, des réflexes psychologiques des plus cruelles extravagances : maillot de cellophane du poignant désespoir présent (comment ne pas crier à la lecture de la nouvelle de cette horrible collection d’abat-jour faits de tatouages prélevés sur de malheureux captifs à la demande d’une femme élégante; ne pas gémir à l’énoncé interminable des supplices des camps de concentration; ne pas avoir froid aux os à la description des cachots espagnols, des représailles injustifiables, des vengeances à froid). Comment ne pas frémir devant la cruelle lucidité de la science.

À ce règne de l’angoisse toute puissante succède celui de la nausée.

Nous avons été écoeurés devant l’apparente inaptitude de l’homme à corriger les maux. Devant l’inutilité de nos efforts, devant la vanité de nos espoirs passés.

Depuis des siècles, les généreux objets de l’activité poétique sont voués à l’échec fatal sur le plan social, rejetés violemment des cadres de la société avec tentative ensuite d’utilisation dans le gauchissement irrévocable de l’intégration, de la fausse assimilation.

Depuis des siècles, les splendides révolutions aux seins regorgeant de sève sont écrasées à mort après un court moment d’espoir délirant, dans le glissement à peine interrompu de l’irrémédiable descente:
les révolutions françaises
la révolution russe
la révolution espagnole
avortées dans une mêlée internationale malgré les voeux impuissants de tant d’âmes simples du monde.

Là encore, la fatalité fut plus forte que la générosité.

Ne pas avoir la nausée devant les récompenses accordées aux grossières cruautés, aux menteurs, aux faussaires, aux fabricants d’objets mort-nés, aux affineurs, aux intéressés à plat, aux calculateurs, aux faux guides de l’humanité, aux empoisonneurs des sources vives.

Ne pas avoir la nausée devant notre propre lâcheté, notre impuissance, notre fragilité, notre incompréhension.
Devant les désastres de notre amour…
En face de la constante préférence accordée aux chères illusions contre les mystères objectifs.

Où est le secret de cette efficacité de malheur imposée à l’homme et par l’homme seul, sinon dans notre acharnement à défendre la civilisation qui préside aux destinées des nations dominantes.

Les États-Unis, la Russie, l’Angleterre, la France, l’Allemagne, l’Italie et l’Espagne: héritières à la dent pointue d’un seul décalogue, d’un même évangile.

La religion du Christ a dominé l’univers. Vous voyez ce qu’on en a fait: des fois soeurs sont passées à des exploitations soeurettes.

Supprimez les forces précises de la concurrence des matières premières, du prestige, de l’autorité et elles seront parfaitement d’accord. Donnez la suprématie à qui il vous plaira, et vous aurez les mêmes résultats fonciers, sinon avec les mêmes arrangements des détails.

Toutes sont au terme de la civilisation chrétienne.

La prochaine guerre mondiale en verra l’effondrement dans la suppression des possibilités de concurrence internationale.

Son état cadavérique frappera les yeux encore fermés.

La décomposition commencée au XlVe siècle donnera la nausée aux moins sensibles.

Son exécrable exploitation, maintenue tant de siècles dans l’efficacité au prix des qualités les plus précieuses de la vie, se révélera enfin à la multitude de ses victimes: dociles esclaves d’autant plus acharnés à la défendre qu’ils étaient plus misérables.

L’écartèlement aura une fin.

La décadence chrétienne aura entraîné dans sa chute tous les peuples, toutes les classes qu’elle aura touchées, dans l’ordre de la première à la dernière, de haut en bas.

Elle atteindra dans la honte l’équivalence renversée des sommets du XIIIe.

Au XIIIe siècle, les limites permises à l’évolution de la formation morale, des relations englobantes du début atteintes, l’intuition cède la première place à la raison. Graduellement l’acte de foi fait place à l’acte calculé. L’exploitation commence au sein de la religion par l’utilisation intéressée des sentiments existants immobilisés; par l’étude rationnelle des textes glorieux au profit du maintien de la suprématie obtenue spontanément.

L’exploitation rationnelle s’étend lentement à toutes les activités sociales: un rendement maximum est exigé.

La foi se réfugie au coeur de la foule, devient l’ultime espoir d’une revanche, l’ultime compensation. Mais là aussi, les espoirs s’émoussent.

En haut lieu, les mathématiques succèdent aux spéculations métaphysiques devenues vaines.

L’esprit d’observation succède à celui de transfiguration.

La méthode introduit les progrès imminents dans le limité. La décadence se fait aimable et nécessaire: elle favorise la naissance de nos souples machines au déplacement vertigineux, elle permet de passer la camisole de force à nos rivières tumultueuses en attendant la désintégration à volonté de la planète. Nos instruments scientifiques nous donnent d’extraordinaires moyens d’investigation, de contrôle des trop petits, trop rapides, trop vibrants, trop lents ou trop grands pour nous. Notre raison permet l’envahissement du monde, mais où nous avons perdu notre unité.

L’écartèlement entre les puissances psychiques et les puissances raisonnantes est près du paroxysme.

Les progrès matériels, réservés aux classes possédantes, méthodiquement freinés, ont permis l’évolution politique avec l’aide des pouvoirs religieux (sans eux ensuite) mais sans renouveler les fondements de notre sensibilité, de notre subconscient, sans permettre la pleine évolution émotive de la foule qui seule aurait pu nous sortir de la profonde ornière chrétienne.

La société née dans la foi périra par l’arme de la raison: L’INTENTION.

La régression fatale de la puissance morale collective en puissance strictement individuelle et sentimentale, a tissé la doublure de l’écran déjà prestidigieux du savoir abstrait sous laquelle la société se dissimule pour dévorer à l’aise les fruits de ses forfaits.

Les deux dernières guerres furent nécessaires à la réalisation de cet état absurde. L’épouvante de la troisième sera décisive. L’heure H du sacrifice total nous frôle.

Déjà les rats européens tentent un pont de fuite éperdue sur l’Atlantique. Les événements déferleront sur les voraces, les repus, les luxueux, les calmes, les aveugles, les sourds.

Ils seront culbutés sans merci.

Un nouvel espoir collectif naîtra.

Déjà il exige l’ardeur des lucidités exceptionnelles, l’union anonyme dans la foi retrouvée en l’avenir, en la collectivité future.

Le magique butin magiquement conquis à l’inconnu attend à pied d’oeuvre. Il fut rassemblé par tous les vrais poètes. Son pouvoir transformant se mesure à la violence exercée contre lui, à sa résistance ensuite aux tentatives d’utilisation (après plus de deux siècles, Sade reste introuvable en librairie; Isidore Ducasse, depuis plus d’un siècle qu’il est mort, de révolutions, de carnages, malgré l’habitude du cloaque actuel reste trop viril pour les molles consciences contemporaines).

Tous les objets du trésor se révèlent inviolables par notre société. Ils demeurent l’incorruptible réserve sensible de demain. Ils furent ordonnés spontanément hors et contre la civilisation. Ils attendent pour devenir actifs (sur le plan social) le dégagement des nécessités actuelles.

D’ici là notre devoir est simple.

Rompre définitivement avec toutes les habitudes de la société, se désolidariser de son esprit utilitaire. Refus d’être sciemment au-dessous de nos possibilités psychiques. Refus de fermer les yeux sur les vices, les duperies perpétrées sous le couvert du savoir, du service rendue, de la reconnaissance due. Refus d’un cantonnement la seule bourgade plastique, place fortifiée mais facile d’évitement. Refus de se taire — faites de nous ce qu’il vous plaira mais vous devez nous entendre — refus de la gloire, des honneurs (le premier consenti): stigmates de la nuisance, de l’inconscience, de la servilité. Refus de servir, d’être utilisables pour de telles fins. Refus de toute INTENTION, arme néfaste de la RAISON. À bas toutes deux, au second rang!

Place à la magie! Place aux mystères objectifs!
Place à l’amour!
Place aux nécessités!

Au refus global nous opposons la responsabilité entière.

L’action intéressée reste attachée à son auteur, elle est mort-née.

Les actes passionnels nous fuient en raison de leur propre dynamisme.

Nous prenons allégrement l’entière responsabilité de demain. L’effort rationnel, une fois retourné en arrière, il lui revient de dégager le présent des limbes du passé.

Nos passions façonnent spontanément, imprévisiblement, nécessairement le futur.

Le passé dut être accepté avec la naissance, il ne saurait être sacré. Nous sommes toujours quittes envers lui.

Il est naïf et malsain de considérer les hommes et les choses de l’histoire dans l’angle amplificateur de la renommée qui leur prête des qualités inaccessibles à l’homme présent. Certes, ces qualités sont hors d’atteinte aux habiles singeries académiques, mais elles le sont automatiquement chaque fois qu’un homme obéit aux nécessités profondes de son être; chaque fois qu’un homme consent à être un homme neuf dans un temps nouveau. Définition de tout homme, de tout temps.

Fini l’assassinat massif du présent et du futur à coup redoublé du passé.

Il suffit de dégager d’hier les nécessités d’aujourd’hui. Au meilleur demain ne sera que la conséquence imprévisible du présent.

Nous n’avons pas à nous en soucier avant qu’il ne soit.

RÈGLEMENT FINAL DES COMPTES

Les forces organisées de la société nous reprochent notre ardeur à l’ouvrage, le débordement de nos inquiétudes, nos excès comme une insulte à leur mollesse, à leur quiétude, à leur bon goût pour ce qui est de la vie (généreuse, pleine d’espoir et d’amour par habitude perdue).

Les amis du régime nous soupçonnent de favoriser la « Révolution », les aquis de la « Révolution », de n’être que des révoltés: « …nous protestons contre ce qui est, mais dans l’unique désir de le transformer, non de le changer. »

Si délicatement dit que ce soit, nous croyons comprendre.

Il s’agit de classe.

On nous prête l’intention naïve de vouloir « transformer » la société en remplaçant les hommes au pouvoir par d’autres semblables. Alors, pourquoi pas eux, évidemment!

Mais c’est qu’eux ne sont pas de la même classe! Comme si changement de classe impliquait changement de civilisation, changement de désirs, changement d’espoir!

Ils se dévouent à salaire fixe, plus un boni de vie chère, à l’organisation du prolétariat; ils ont mille fois raison. L’ennui est qu’une fois la victoire bien assise, en plus des petits salaires actuels, ils exigeront sur le dos du même prolétariat, toujours, et toujours de la même manière, un règlement de frais supplémentaires et un renouvellement à long terme, sans discussion possible.

Nous reconnaissons quand même qu’ils sont dans la lignée historique. Le salut ne pourra venir qu’après le plus grand excès de l’exploitation.

Ils seront cet excès.

Ils le seront en toute fatalité sans qu’il y ait besoin de quiconque en particulier. La ripaille sera plantureuse. D’avance nous en avons refusé le partage.

Voilà notre « abstention coupable ».

À vous la curée rationnellement ordonnée (comme tout ce qui est au sein affectueux de la décadence); à nous l’imprévisible passion; à nous le risque total dans le refus global.

(Il est hors de volonté que les classes sociales se soient succédées au gouvernement des peuples sans pouvoir autre chose que poursuivre l’irrévocable décadence. Hors de volonté que notre connaissance historique nous assure que seul un complet épanouissement de nos facultés d’abord, et, ensuite, un parfait renouvellement des sources émotives puissent nous sortir de l’impasse et nous mettre dans la voie d’une civilisation impatiente de naître).

Tous, gens en place, aspirants en place, veulent bien nous gâter, si seulement nous consentions à ménager leurs possibilités de gauchissement par un dosage savant de nos activités.

La fortune est à nous si nous rabattons nos visières, bouchons nos oreilles, remontons nos bottes et hardiment frayons dans le tas, à gauche à droite.

Nous préférons être cyniques spontanément, sans malice.

Des gens aimables sourient au peu de succès monétaire de nos expositions collectives, ils ont ainsi la charmante impression d’être les premiers à découvrir leur petite valeur marchande.

Si nous tenons exposition sur exposition, ce n’est pas dans l’espoir naïf de faire fortune. Nous savons ceux qui possèdent aux antipodes d’où nous sommes. Ils ne sauraient impunément risquer ces contacts incendiaires.

Dans le passé, des malentendus involontaires ont permis seuls de telles ventes.

Nous croyons ce texte de nature à dissiper tous ceux de l’avenir.

Si nos activités se font pressantes, c’est que nous ressentons violemment l’urgent besoin de l’union.

Là, le succès éclate!

Hier, nous étions seuls et indécis.

Aujourd’hui un groupe existe aux ramifications profondes et courageuses; déjà elles débordent les frontières.

Un magnifique devoir nous incombe aussi: conserver le précieux trésor qui nous échoit. Lui aussi est dans la lignée de l’histoire.

Objets tangibles, ils requièrent une relation constamment renouvelée, confrontée, remise en question. Relation impalpable, exigeante qui demande les forces vives de l’action.

Ce trésor est la réserve poétique, le renouvellement émotif où puiseront les siècles à venir. Il ne peut être transmis que TRANSFORME, sans quoi c’est le gauchissement.

Que ceux tentés par l’aventure se joignent à nous.

Au terme imaginable, nous entrevoyons l’homme libéré de ses chaînes inutiles, réalisé dans l’ordre imprévu, nécessaire de la spontanéité, dans l’anarchie resplendissante, la plénitude de ses dons individuels.

D’ici là, sans repos ni halte, en communauté de sentiment avec les assoiffés d’un mieux-être, sans crainte des longues échéances, dans l’encouragement ou la persécution, nous poursuivrons dans la joie notre sauvage besoin de libération.

Paul-Emile Borduas

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Moulin à paroles : 24 heures moins 12 minutes

L’événement Moulin à paroles a pris fin hier, le dimanche 14 septembre 2009. La foule a entonné – ai-je lu dans Le Devoir -, À la Claire fontaine puis, Gens du pays, de Gilles Vigneault.  Nous avions quitté les Plaines. Il fallait bien manger de la nourriture terrestre, après ces heures de grand festin pour l’âme.

Pendant deux semaines – et sans doute dans les prochains jours à la UNE des médias électroniques et en manchette à l’électronique, on parlera de ces douze minutes pendant lesquelles Luc Mervil a occupé la scène en proposant une lecture forte d’un texte qui a fait couler trop de sang, d’abord, et et d’encre plus récemment.

Avant, juste avant, Paul Ahmarani avait dit et chanté à capella la magnifique Suzanne, du grand poète montréalais Leonard Cohen. En anglais. Et entouré des frissons d’émotion des milliers de personnes qui, depuis plusieurs heures, s’imprégnaient de grands textes et de mémoire. Suzanne, c’est aussi partie prenante de ce nous sommes.  Après, juste après, Jean Barbe a lu avec une sobriété remarquable la Lettre de Pierre Laporte à Bourassa pendant sa captivité en octobre 1970. Avant sa mort. La foule que j’ai senti n’a pas reçu ce texte comme une accusation contre l’ancien premier ministre libéral. J’ai eu le sentiment qu’elle voyait défiler bien d’autres otages depuis – en Irak, en Iran, en Colombie… – s’interrogeant sur la juste conduite à adopter par les gardiens de l’État dans de telles circonstances.

Et avant les douze minutes ( Luc Mervil est monté sur scène deux fois, six minutes à chaque fois), longtemps avant, et après, longtemps après, le Moulin à paroles a donné la voix à 153 textes, d’un Extrait de la Flore Laurentienne du Frère Marie-Victorin, lu par Pierre Morency à Oh when de saints, un texte créé pour l’occasion par le poète André Ricard et lu par son fils Sébastien.

***

Avant mon départ pour Québec, j’écrivais y aller pour « écouter, je l’espère, des textes qui permettront de comprendre  d’où nous venons et ce que nous sommes devenus – dans ce cas ci les Québécois -,  avant et après le Manifeste du FLQ. Les quelques minutes annoncées de lecture de ce texte ont, depuis deux semaines, occupé tellement d’espace médiatique, à l’écrit et à l’électronique, que le risque est grand que le sens – et les travers –  de cet événement se perdent dans les Une et les manchettes qui suivront.».

Je m’inquiétais inutilement. Le sens de cet événement n’a pas échappé aux milliers de personnes venus écouter en silence, et avec une attention remarquable, quelques minutes ou les 24 heures du moulin et les milliers d’autres qui ont suivi leur diffusion intégrale à l’antenne de Vox.  Ce que les médias en retiendrons pendant les prochaines heures importe peu. D’autres nouvelles feront taire le Moulin à paroles. Mais je parie que fondamentalement, ce Moulin à paroles  restera dans la Mémoire longtemps.

En route vers le Moulin à paroles, sur le ROCK des Plaines d’Abraham

Je suis de retour sur terre. C’est ainsi que les gens souvent parlent de leur retour à la maison, après un voyage. Pas moi. J’étais sur la Terre. D’autant plus que j’étais sur le Rocher. The ROCK. Des roches à perte de vue. En fait, j’étais et je suis toujours sur la Terre. Profondément consciente du sol sur lequel je marche. Aujourd’hui sur les trottoirs bétonnés du Vieux-Rosemont. Et demain – pour vrai, demain – sur les Plaines d’Abraham. En foulant des pneus de mon auto le bitume de la 20, entre Montréal et Québec et puis, en empruntant le boulevard Champlain, au bord des grandes eaux du Saint-Laurent et des autres…

Quai des flots. Photo : CCNQ Jonathan Robert (tous droits réservés mais disponible sur Flicker...)

Quai des flots. Photo : CCNQ Jonathan Robert (tous droits réservés mais disponible sur Flicker...)

Je n’ai pas vraiment quitté Terre-Neuve, même si j’ai retrouvé avec  bonheur le confort de mon foyer, à Montréal. Et je ne quitterai pas vraiment Rosemont  en allant à Québec pour écouter et pour voir le Moulin à Paroles. Pour écouter, je l’espère, des textes qui permettront de comprendre  d’où nous venons et ce que nous sommes devenus – dans ce cas ci les Québécois -,  avant et après le Manifeste du FLQ. Les quelques minutes annoncées de lecture de ce texte ont, depuis deux semaines, occupé tellement d’espace médiatique, à l’écrit et à l’électronique, que le risque est grand que le sens – et les travers –  de cet événement se perdent dans les Une et les manchettes qui suivront.

On verra si nous vaincrons. Nous? Ceux et celles, d’où qu’ils ou elles soient et vivent – qui cherchent une Terre meilleure, et qui la cherchent  au-delà des chapelles, des idéologies, des fédéralismes et des nationalismes. Cette Terre, c’est, au fond, ma seule destination. À Terre-Neuve, dans la Vallée de la Mort, à Montréal, à Québec et certainement bientôt ailleurs. Ou ici? Nous sommes toujours ici. Et demain, ici, pour moi, ce sera Québec. Je raconterai.

ps. je reviendrai à Terre-Neuve bientôt. Je prépare un festival en différé. « Fiddle, Fiddler, Fidler» et autres F tels Fog, Folk  et Femme. Avant de mettre le cap sur Montréal et ailleurs sur Terre.