Lune filante sur nuit blanche – la photo de Jacques Nadeau

Plus d’un an après le lancement de ce carnet, je n’arrive toujours pas à comprendre comment vous y arrivez. Pas plus que je comprends pourquoi, soudain, certains billets se classent aux premières places des articles les plus consultés. Sinon que j’ai appris, un peu, les astuces des tags de mots-clés. Or, dans le cas précis du billet Lune filante sur nuit blanche (cliquer sur le titre pour lire le billet), j’ai fini par comprendre que sa présence au palmarès s’expliquait par des recherches sur Jacques Nadeau (cliquer sur ce nom et vous comprendrez pourquoi des internautes le cherchent) et/ou photographie. Or, la photo de Jacques Nadeau n’était pas dans le billet. La voici.

Lune filante sur nuit blanche (titre JT). Entre le Fleuve et le Marché Bonsecours, Montréal. Mars 2009. Photo: Jacques Nadeau

Merci JN. JT

Conte terrien 2009 – Levers de soleil sur l’infini et chien urbain

À Léo.

Levers de soleil sur l’infini

«Y a pas d’vue!», a décrété mon père Léo avant d’entrer dans le logement que je venais d’acquérir dans le Vieux-Rosemont, à Montréal, en 2001. Sur le balcon avant, il avait vainement tenté de déceler un coin de montage, un soupçon de forêt, un terrain vague, à défaut d’un champ… Il ne voyait que des habitations de trois étages, collées les unes sur les autres, formant, à ses yeux, un mur de brique.

J’ai protesté, vantant les charmes des escaliers en serpentin et des détails architecturaux des habitations de mes voisins. J’ai souligné les avantages de vivre à proximité de la rue Masson, une véritable artère commerciale de quartier, où l’on peut tout trouver, même un ami. Et la présence, à quelques minutes de marche, de beaux parcs et du Jardin botanique. Je lui ai aussi rappelé que j’avais la chance inouïe d’avoir une cour, à l’arrière.

Après avoir traversé le logement pour inspecter cette fameuse cour, Léo a émis un autre verdict assassin : «Le terrain est croche!». J’ai encore une fois rouspété. «Ben voyons donc¡ Le terrain n’est pas croche, il est en pente. C’est rare à Montréal de vivre sur une colline. J’adore ça!».

«Tanr mieux pour toi si tu aimes ça», qu’il m’a dit, regrettant déjà d’avoir jeté des ombres sur mon enthousiasme. Le mal était fait. Ses remarques avaient réveillé mon plus grand regret immobilier.  Si, en choisissant de vivre dans la Métropole du Québec,  j’ai fait sans peine le deuil de posséder un jour une maison à trois étages, je supporte beaucoup plus difficilement l’étroitesse de l’horizon qui est depuis mon lot quotidien. Difficile, en effet, de renoncer à ces «vues» qui ont nourri mon enfance et mon adolescence, dans la Vallée de la Matapédia, et mon entrée dans l’âge adulte sur les bords du Saint-Laurent, à Rimouski.  Quand on a grandi entre deux chaînes de montage, avec des bruits de rivière comme berceuse et un lac immense comme piscine, la quête de «vue», dans la définition qu’en avait mon père,  est inscrite dans son ADN.

Ma maison paternelle, Sayabec, Vallée de la Matapédia au Québec.

Je n’ai jamais réussi  à faire comprendre à mon père qu’en acquérant un modeste logement sans «vue», dans un quartier de Montréal qui, en 2001, n’était pas encore frappé par la spéculation immobilière, je créais l’espace nécessaire dans mon budget pour m’offrir, et à petit prix,  les plus belles vues de la planète. Depuis 2001, j’ai donc arpenté les sentiers du Paradis bohémien, à la frontière entre la République tchèque et la Pologne; j’ai marché dans les forêts humides du Costa Rica; j’ai plusieurs fois regardé la mer en marchant sur le Malecon, à la Havane; j’ai fait des sauts de puce et des séjours plus long dans les déserts du Nevada et de Californie… Zabriskie Point… La Vallée de Panamint…

Mon premier lever de soleil à Zabriskie Point, Vallée de la mort, Californie, février 2007. Photo : Jacinthe Tremblay

Je suis retournée des dizaines de fois dans ma Vallée natale, chaque fois touchée par la majesté du Fleuve, des Chic-Chocs et des Appalaches, ces chaînes de montagnes qui ont été mon terrain de jeu jusqu’à 18 ans. Depuis le dernier souffle de Léo, pendant un magnifique coucher de soleil, le 22 avril 2008, j’ai fait de Terre-Neuve ma «neuve terre», celle où je me gave de grandes eaux, de montagnes et d’horizons infinis. D’une certaine manière, j’ai le sentiment de respecter sa vision de la «vue», à la puissance mille.

En 2009, à la faveur du boulot, j’y ai séjourné plus de deux mois, entre Fog, rochers et autres beautés.

***

Mon choix immobilier de 2001 a donc eu les effets escomptés. Je remplis, le plus souvent possible par des voyages avec «vues», l’espace laissé dans mon budget par l’acquisition d’une propriété abordable. Et si je peux me permettre ces escapades fréquentes, c’est aussi grâce à un autre legs de mon père : un souci de tous les instants d’étirer le dollar par une saine gestion des revenus et dépenses.  Et en tirant profit, allègrement, de toutes les offres, même celles qui semblent les plus farfelues, des concepteurs du programme de fidélisation Aéroplan.

C’est ainsi que dans quelques heures, je m’envolerai à nouveau vers St.John’s, Terre-Neuve, grâce  à des milles aériens récoltés dans les bacs de recyclage du Vieux-Rosemont, depuis 2007.  Cet exploit, je le dois, je crois, à un autre ingrédient inscrit dans mon ADN : la capacité qu’avait ma mère, une Montréalaise, de «voir» et d’apprécier les multiples splendeurs des environnements densément peuplés. Et j’ai exercé cette habileté avec une intensité accrue depuis l’arrivée d’un chien dans ma vie, en juillet 2002.

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À Thérèse

et chien urbain

Il s’appelle Saku et il partage ma vie, depuis bientôt six ans, pour le meilleur et trop souvent pour le pire. Mes promenades quotidiennes avec ce  diable d’animal, proche descendant du loup carnassier, m’ont permis de découvrir avec ravissement les moindres détails des infrastructures et aménagements urbains de Montréal, ceux du Vieux-Rosemont en particulier. Je me suis, à maintes reprises, nourri de la beauté des levers de soleil au-dessus des toitures des logements ouvriers centenaires de mon quartier d’adoption.  Je ne cesse de me délecter à la découverte des vitraux qui ornent encore plusieurs fenêtres de mon quartier ainsi que des sculptures de castors et feuilles d’érables, entre autres, qui agrémentent certaines façades de brique des environs de ma résidence.

Mes marches avec mon chien urbain m’ont aussi rapproché des humains qui m’entourent, transformant ce coin de ville en village. Je ne compte plus les visages connus et reconnus au fil des mois de promenade au bout de la laisse; de leurs sourires complices et, parfois même de leurs confidences. Tout comme je ne cesse d’additionner les nouvelles et belles connaissances – les nouvelles amitiés même – tissées lors de mes fréquentations d’enclos canins, à Rosemont et à Outremont.

C’est aussi grâce à ce devoir de maîtresse d’un chien urbain que j’ai constaté, un mardi matin d’avril 2007, que je pouvais récolter des milles aériens dans les bacs verts. Je me suis donc joint à la confrérie des glaneurs urbains qui, en 2009, a vu croître de façon table le nombre des glaneuses de l’Âge dit d’or.  Elles, ces nouvelles collègues de rondes de bacs du mardi matin, fouillent visiblement dans les matières recyclables pour arrondir leurs fins de mois. Peut-être pour manger. Moi, je me livre à l’exercice pour m’emvoler vers des «vues» de grands espaces et d’horizons infinis. Quelle chance, tout de même!

Dans mes rondes de bacs, j’ai récolté beaucoup plus que des milles aériens. J’ai exercé ma sensibilité à  déceler  l’humanité au-delà de l’anonymat des villes. Cette autre vision des «vues» est également inscrite dans mon ADN. C’est un legs de ma mère Thérèse, Montréalaise de naissance et infirmière-travailleuse sociale avant de devenir, en prenant mari, une Matapédienne d’adoption.  C’est en visitant mes grands-parents, à Ville-Émard, que j’ai entendu parler l’anglais pour la première fois, aperçu mes premiers Noirs, eu mes premiers contacts avec des Chinois et des Italiens, et aussi, découvert les gratte-ciel, l’art contemporain – Pellan – et constaté que l’on pouvait se déplacer en commun. Depuis, je vois aussi les villes comme des espaces ouverts sur l’infini.

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Avant de m’établir à Montréal, à 20 ans, j’adorais ces paroles de la chanson les Gens d’en Bas, de Gilles Vigneault. «On est d’en Haut ou bien d’en Bas, quand on voyage on apprend ça.». Je sais maintenant que «Je suis d’en Haut et d’en Bas». En voyageant j’ai appris ça… Et c’est sans doute pourquoi j’ai décidé d’utiliser le billet d’avion de mes rondes de bas verts pour aller passer le cap de l’an 2010 à St-John’s, Terre-Neuve. C’est que là, on peut à la fois vivre sa ruralité et son urbanité, avec, en prime, la compagnie d’un chien urbain.

Vue de Saint-Jean de Terre-Neuve depuis Signal Hill. Août 2009. Photo : Jacinthe Tremblay

27 décembre 2009.

1er novembre 2009 (3)- À Montréal, quelque chose allait naître

Ce billet est le dernier d’une trilogie amorcée par les textes : 1er novembre 2009, Odeurs berlinoises à Montréal et 1er novembre 2009 (2), À Montréal, quelque chose allait mourir.

À Montréal, quelque chose allait naître

En sortant du viaduc entre Van Horne et Beaubien, rue Saint-Laurent, à Montréal, le 1er novembre 2009, – premier jour du mois des morts dans le calendrier catholique et jour d’élections municipales dans la Cité,  j’ai eu la certitude que «quelque chose allait naître» ce jour-là. Quoi? Plus d’un mois après le levée du brouillard – du smog? -, ce matin-là, je le saurais encore le dire ou le prédire. Ni même prévoir dans quelle zone du temps et de l’espace de «quelque chose» verra le jour. Au plus, esquisser des pistes diffuses et enligner quelques faits, peut-être porteurs de «quelques choses».

La mort de l’illusion de démocratie, à la faveur des résultats des élections municipales, a donné naissance à sa négation effrontée par le «nouveau» Gérald Tremblay.

En plus de s’attribuer les titres et fonctions de maire de Montréal – président du comité exécutif de la Ville de Montréal – maire de l’arrondissement Ville-Marie (le coeur de Montréal) – président de la Communauté métropolitaine de Montréal, le «Gérald Tremblay nouveau» a confié trois postes clé de son administration à trois candidats défaits de son parti Union Montréal. Diane Lemieux, battue dans Ahuntsic, devient sa chef de cabinet; André Lavallée, battu dans Rosemont; devient son chef de cabinet dans Ville-Marie; et Michel Labrecque; battu sur le Plateau, devient président du conseil d’administration de la Société de transport de Montréal. Dans le c… le verdict de l’électorat.  Comment désigner cette forme de gouvernance? Post stalinisme? Dictature éclairée? Révolution culturelle à la sauce Montréal? Vos qualiticatifs sont les bienvenus.

Des bourgeons de la prise de parole citoyenne, de la cohésion réelle par les réseaux virtuels et  de la  prise en charge de l’espace public par ses réels propriétaires sont en éclosion; certains sont en fleurs et devraient devenir bouquets.

Ce matin, en entrant dans l’enclos canin du Parc Lafond, dans le Vieux-Rosemont, Saku et moi avons aperçu un pneu, en position verticale, au centre du terrain. C’est le début d’un parcours d’agilité pour nos amis à quatre pattes, imaginé et déposé par un maître ou une maîtresse et offert à l’usage de tous sans autorisation des autorités municipales et sans qu’il en coûte un sou.

Aux manchettes de collusion et de corruption politico-entrepreneuriables qui occupent les unes des journaux; des gens, comme ça, répondent par la créativité, l’imagination, l’appropriation pacifique du domaine public. Il en naîtra certainement «quelques choses».

Montréal est une ville de créateurs. C’est ce qui la sauvera. Comment? Quand? Comme à Berlin, son «Mur» tombera!

1er novembre 2009 (2) – À Montréal, quelque chose allait mourir.

ce billet est le deuxième d’une trilogie amorcée par le texte : 1er novembre 2009- Odeurs berlinoises à Montréal

En marchant sous le viaduc entre Van Horne et Beaubien, rue Saint-Laurent, à Montréal, le 1er novembre 2009, – premier jour du mois des morts dans le calendrier catholique et jour d’élections municipales dans la Cité,  j’avais la certitude de «quelque chose allait mourir» ce jour-là. Le règne de l’administration de Gérald Tremblay, à la barre de la Ville depuis 2002? Je pressentais que malgré les scandales nombreux révélés par les médias au cours des dernières semaines, la majorité des membres de son parti, et lui en premier, resteraient dans le décor et au pouvoir au lendemain de ce scrutin. Le premier magistrat de la métropole du Québec avait déjà démontré à maintes reprises sa capacité inouïe de mutation – du moins en apparence. Il était encore capable de nous faire croire qu’il est le cadeau que l’on attendait plus dans la boîte de Cracker’s Jack. Et même de croire – et nous faire croire –  qu’il est un Homme Nouveau. Et, pourquoi pas une Femme?

Un moment dans le règne de Gérald Tremblay à la mairie de Montréal. Photo : Jacques Nadeau

Voilà pourqoi je pressentais que si «quelque chose allait mourir», en ce 1er novembre 2009, ce serait forcément autre chose que le règne de Gérald Tremblay à la mairie de Montréal.  C’était une prédiction par ailleurs bassement logique et mathématique : il était clair que Gérald Tremblay et son parti allaient  gagner cette élection par le poids du nombre des anciennes banlieues de la défunte Communauté urbaine de Montréal devenues par le jeu des fusions et défusions municipales nouveaux arrondissements de la nouvelle Ville de Montréal. C’est exactement ce qui s’est passé. Gérald Tremblay a gagné ses élections.

***

En examinant les résultats détaillés des élections à la mairie par arrondissements , en fin de soirée le 1er novembre 2009, j’ai eu la réponse à la question qui me trottait dans la tête depuis ma marche matinale.

LE PREMIER NOVEMBRE 2009, CE QUI RESTAIT D’ILLUSION DE DÉMOCRATIE EST MORT À MONTRÉAL.

Ce jour-là, Gérald Tremblay s’est  fait montrer la porte par les Montréalais de l’ancienne Ville de Montréal, qui comptait 1 million de citoyens. Il a gardé le pouvoir grâce aux votes des anciennes banlieues de l’ancienne Ville de Montréal.

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Dès le 2 novembre, une voix forte a conforté ma lecture des résultats électoraux. C’est celle de Jean-François Lisée, directeur du Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CERIUM), blogueur sur le site Internet du magazine l’Actualité et ex-conseiller des premiers ministres québécois Jacques Parizeau et Lucien Bouchard.

Le titre de son billet sur son blogue de l’actualité était on ne peut plus clair : Louise Harel a gagné… dans le Montréal pré-fusions. En voici des extraits et une image, l’intégrale pouvant être consultée via l’hyperlien précédent.

 Manif anti-fusions (photo PC)Manif anti-fusions (photo PC)

«Si Louise Harel avait été, dimanche, candidate dans la ville de Montréal telle qu’elle existait avant les fusions qu’elle a elle-même menées, elle serait aujourd’hui mairesse. Selon mes calculs, elle aurait triomphé dimanche avec 39% des voix, contre 33,5% à Gérald Tremblay et 27,5 % à Richard Bergeron.

Montréal aurait la première femme, ouvertement souverainiste, pas complètement bilingue, à diriger la ville. Comme mairesse de la principale ville de la région, elle présiderait la Communauté urbaine de Montréal, l’organisme supra-municipal qui dirigeait, cahin-caha, la métropole. Le calcul est simple:Il suffit de prendre le total des voix obtenues par les trois principaux candidats et d’en soustraire celles comptabilisées dans les arrondissements qui n’étaient pas montréalais en 2001. Tremblay perd près de 70 000 votes, et sa majorité. Harel et Bergeron en perdent chacun 35 000. Au final: Harel a une majorité de 13 500 voix sur Tremblay. Comment cela s’explique-t-il ? L’argent ? Des votes ethniques?

La corrélation avec la langue est majeure. Dans l’ex-Montréal, je l’ai dit, Harel a fait 39%. Elle n’atteint cette proportion dans aucune des anciennes villes fusionnées. Dans presque tous les nouveaux arrondissements massivement francophones, elle fait tout de même bonne figure. (…)

Ceux qui s’attendent à ce que je ne critique jamais le Parti québécois dans ce blogue en seront pour leurs frais. J’ai toujours pensé et pense encore que l’opération fusion fut, à Montréal, une faute politique majeure. Lorsqu’on dirige une nation dont la majorité est minoritaire sur le continent, dont la proportion se marginalise dans la fédération, dont le poids linguistique se fragilise dans sa métropole, on n’introduit pas de réformes institutionnelles qui affaiblissent son pouvoir dans sa principale ville.

Pour la petite histoire, quand j’ai quitté le cabinet du premier ministre en septembre 1999, il n’était pas question d’appuyer une île une ville, mais de maintenir les villes existantes en renforçant les pouvoirs d’équité fiscale et de planification industrielle, de la communauté urbaine. Ce n’était pas mon dossier, mais je considérais que cette proposition gardait intacte la ville de Montréal, où les francophones étaient nettement majoritaires. Elle préservait aussi, ce que je considérais non négligeable, l’identité municipale des villes anglophones et bilingues. Il faut être cohérent. Ou bien on est sensible aux questions identitaires, et alors on reconnaît son importance dans les institutions de nos minorités, ou bien on ne l’est pas. Lorsque le gouvernement s’est engagé sur la voie de la fusion de toute l’île, j’ai demandé directement pourquoi un gouvernement du Parti québécois oeuvrait pour miner le pouvoir politique des francophones dans la métropole. Je n’ai jamais eu de réponse convaincante.»

***

Le 3 novembre, j’ai décidé d’utiliser mon pouvoir de scribe citoyenne pour ajouter mon grain de sel à cette analyse. Mon commentaire a été diffusé sur le blogue de Jean-François Lisée. Le voici, dans sa version intégrale.

« Monsieur Lisée,

Je vais paraphraser de grandes parties de votre texte avec lequel je suis largement en accord. Je trouve d’autant plus important de prendre le clavier sur cette question parce que je la connais très bien… Et que je pense que tous ceux qui analysent les résultats des élections sous la lorgnette des clivages linguistiques sont dans l’erreur. Alors, voilà :

Quand j’ai quitté le cabinet du maire Jean Doré, en 1994, après sept ans comme attachée politique aux relations intermunicipales et gouvernementales, il n’étais pas question de revendiquer une ile une ville mais de maintenir les villes existantes en introduisant l’équité fiscale entre la métropole et les localités de la région de Montréal et en réformant la fiscalité des villes pour la faire correspondre à leur rôle dans les sociétés modernes. C’était MON dossier. J’avais aussi, pendant le premier mandat du RCM – 1986-1990 – été responsable du suivi, pour les élus montréalais, des dossiers de la Communauté urbaine de Montréal – qui marchait de moins en moins cahin-caha, d’ailleurs.

Les fusions-défusions-réformes des fusions-défusions, ont été une succession de parentes guidées beaucoup plus par des compromis et compromissions de TOUS les partis politiques et de TOUTES les administrations municipales montréalaises depuis 2000. Les objectifs fondamentaux des revendications de tous les maires de Montréal, de Drapeau à Bourque en passant par Doré, ont été écartés, au profit d’une organisation bancale appelée la Nouvelle Ville de Montréal.

J’ai fait hier les mêmes calculs que vous : les Montréalais – de souche? -, c’est-à-dire les citoyens voteurs de l’Ancienne Ville de Montréal ont élu Louise Harel à la mairie et, dans la majorité des anciens districts et quartiers centraux, ont donné des majorités importantes aux candidats de Vision et Projet Montréal.

Par ailleurs, dans Ville-Marie – le coeur économique de Montréal ET du Québec -,Vision est majoritaire, Union est deuxième, suivi de très près par Projet. Et – autre aberration demandée par Tremblay aprés le départ de Benoit Labonté et autorisé par Charest – cet arrondissement aura comme maire Tremblay – élu par les anciennes banlieues de l’Ancienne Ville de Montréal.

La réforme municipale de 2002 a eu comme conséquence un deni total de démocratie pour les citoyens de l’Ancienne Ville de Montréal. LEUR ville a été morcelée SANS QU’ILS N’AIENT UN MOT À DIRE – seuls les gens des banlieues ont eu droit à un référendum, pour comme contre les fusions. Et depuis, le maire élu par le million de citoyens de l’Ancienne Ville de Montréal n’a jamais été celui qu’ils ont élu. La Communauté urbaine de Montréal, qui assurait, en plus d’une saison gestion de services insulaires, en plus de fonctionner dans la plus grande harmonie possible entre Francos et Anglos, n’existe plus. Et les arrondissements de l’Ancienne Ville de Montréal sont les plus mals foutus en terme d’infrastructures souterraines et routières services publics alors qu’ils sont la vitrine de la Métropole du Québec sur le monde.

Les citoyens de l’Ancienne Ville de Montréal sont enfin les plus pauvres de l’île. Comme disait un ami avant ce désastre : Les Montréalais sont pauvres mais au moins, ils ont Montréal.

Ils ne l’ont plus!

Cela dit, impossible de revenir en arrière. La Nouvelle Ville de Montréal est là pour rester. Mais pour réparer les pots cassés, il faut bien identifier le marteau qui les a fait voler en éclat.

Et il ne suffit pas de changer la loi du financement des partis politiques pour arranger les choses. Il faut introduire la proportionnelle à Montréal. Sinon, on ressemble, à ce niveau comme dans bien d’autres, à une république de bananes.». Jacinthe Tremblay

***

Dans son courrier des Internautes publié le 8 novembre, Jean-François Lisée a relevé un passage de mon commentaire et y a ajouté le sien.

« Jacinthe Tremblay, ancienne attaché politique de Jean Doré, renchérit au billet Harel a gagné… dans le Montréal pré-fusions:

La réforme municipale de 2002 a eu comme conséquence un deni total de démocratie pour les citoyens de l’Ancienne Ville de Montréal. LEUR ville a été morcelée SANS QU’ILS N’AIENT UN MOT À DIRE – seuls les gens des banlieues ont eu droit à un référendum, pour comme contre les fusions. Et depuis, le maire élu par le million de citoyens de l’Ancienne Ville de Montréal n’a jamais été celui qu’ils ont élu. La Communauté urbaine de Montréal, qui assurait, en plus d’une saison gestion de services insulaires, en plus de fonctionner dans la plus grande harmonie possible entre Francos et Anglos, n’existe plus. Et les arrondissements de l’Ancienne Ville de Montréal sont les plus mals foutus en terme d’infrastructures souterraines et routières services publics alors qu’ils sont la vitrine de la Métropole du Québec sur le monde.

Les citoyens de l’Ancienne Ville de Montréal sont enfin les plus pauvres de l’île. Comme disait un ami avant ce désastre : Les Montréalais sont pauvres mais au moins, ils ont Montréal. Ils ne l’ont plus!

Elle propose en conclusion l’introduction de la proportionnelle à Montréal pour réparer un peu les dégâts. Julien David, lui propose les deux tours de scrutin, à la française. J’appuie à deux mains. L’élection de Montréal plaide pour la tenue d’un second tour. Introduisons le dans notre métropole, voyons le résultat, et discutons ensuite de son application pour tout le Québec.»

***

En lisant ce commentaire à mon commentaire, je me suis dit que peut-être que je flairais juste en pensant qu’en ce 1er novembre 2009, quelque chose allait naître.

1er novembre 2009 – Odeurs berlinoises à Montréal

Premier jour du mois des morts dans le calendrier catholique. Jour d’élections municipales à Montréal. Jour de longue marche avec Saku, entre Outremont et Rosemont. Jour au petit matin gris, enveloppé d’une léger brouillard qui, dans le climat de la métropole du Québec, annonce le soleil. Ou était-ce du smog? Peut-être. Sans doute même que c’était plus la polllution de l’air qui m’a soudain fait penser que : «Aujourd’hui, à Montréal, quelque chose va mourir. ». L’air malsain, oui, c’est ça qui m’a inspiré cette réflexion. Et les odeurs âcres, mélange de gaz d’échappement des autos et de pisse sous le viaduc de la rue Saint-Laurent, entre Van Horne et Beaubien, qui m’ont transporté dans les zones bétonnées des vieux quartiers ouvriers des villes européennes. Et à la sortie du viaduc, j’ai eu la preuve que j’avais senti juste. J’ai vu le Mur. «Nous sommes à Berlin Saku!». Mon chien urbain aussi avait flairé l’ailleurs, à quelques pas de marche de notre quartier. «Berlin?». «Oui, Saku. Berlin.»

Sortie du viaduc St-Laurent/Van Horne, vu de l'EST.

À Montréal, la rue Saint-Laurent marque le départ de l’est et de l’ouest dans les numéros civiques, comme dans la culture urbaine. C’est la frontière psychologique qui marque le passage des anciens quartiers ouvriers montréalais à une certaine richesse outremontoise puis à la richesse certaine des Westmount and Town of Mount-Royal de l’île. Non pas que ces royaumes de l’ouest soient exempts de misère. Mais la misère y est tout autre. Elle a le ventre et le porte-feuille garnis. Et du beau linge.

Le mur bétonné du viaduc Van Horne, sur Saint-Laurent, quand on le voit depuis l’Est, offre au regard quelques grifonnages monochromes et de vieilles affiches illisiblles, comme la face Est du Mur jadis. Et ces odeurs âcres qui prennent à la gorge. Et cette impression de délâbrement – d’abandon même de la part des pouvoirs publics – des infrastructures des anciens quartiers ouvriers des vieilles villes européennes.

Et j’ai dit tout haut ce que je méditais en silence depuis mon entrée sous le tunnel. «Aujourd’hui, Saku, quelque chose va mourir»

***

Et puis, je me suis prise à observer le mur bétonné du viaduc Van Horne, rue Saint-Laurent, quand on l’examine depuis l’Ouest. Malgré le brouillard – ou plutôt le smog et l’air malsain -, il affichait ce matin-là ses couleurs douces captant l’arrivée lente du soleil.

En regardant ces graffitis joyeux sur la face du viaduc donnant vers l’Est – donc déposés depuis l’Ouest – quelques mots se sont ajoutés à mon intuition matinale, en ce premier jour du mois des morts dans le calendrier catholique et en ce jour des élections municipales à Montréal. «Aujourd’hui, Saku, quelque chose va mourir. Et quelque chose va naître», que j’ai dit à mon chien urbain. «Quoi?», m’a-t-il demandé avec insistance en me toisant directement dans les yeux. «Je n’en ai aucune espèce d’idée», que je lui ai répondu avant de poursuivre notre marche en direction Est, vers Rosemont.

-30-

PS. Pendant mon passage au Devoir, j’ai commis un article sur le segment du Mur de Berlin offert à la Ville de Montréal à l’occasion de son 350e anniversaire, en 1992. Il était accompagné par cette photo, signée Jacques Grenier.

Pan entier du Mur de Berlin, Centre de commerce mondial, Montréal. Photo : Jacques Grenier, du Devoir.

Et voici le texte publié sous ma signature le 26 juillet 2008.

Tout un pan de l’histoire dans un pan de mur

Tremblay, Jacinthe

Pour son 350e anniversaire en 1992, Montréal a hérité du plus gros et du plus intéressant segment du mur de Berlin, dont les fragments ont été offerts aux villes du monde par la capitale allemande réunifiée. Même si son observation dure seulement quelques minutes, la puissance d’évocation de ce segment, elle, reste dans la mémoire longtemps.

De l’allure de l’objet lui-même, il vaut mieux écrire peu de chose. Ce serait l’équivalent de révéler le punch d’un court métrage. Disons simplement que cette visite nous entraîne à la frontière entre Berlin-Ouest et Berlin-Est d’avant le 9 novembre 1989 et que c’est en faisant le tour du mastodonte lentement que l’on peut parvenir à l’imaginer.

Pour ce retour «vers un futur» qu’on ne souhaite à personne, il faut se rendre rue Saint-Pierre, dans le Vieux-Montréal, et franchir la porte d’entrée du Centre de commerce mondial située en haut de la pente entre Saint-Antoine et Saint-Jacques. Ce qui se dresse devant nous n’est pas le résultat d’un coup de colère d’un gang de rue mais l’oeuvre de graffitistes ouest-allemands.

Qu’est-ce que le mur de Berlin?

Il est de tradition, lors des anniversaires importants d’une ville, que ses homologues lui offrent des cadeaux. Il s’agit généralement de toiles ou d’oeuvres d’art public créées par des artistes éminents de la communauté donatrice. Généralement, la ville héritière connaît à l’avance le contenu du don et ce qu’elle aura à faire pour le mettre en valeur. Ça ne s’est pas passé comme ça avec Berlin.

En 1991, le premier magistrat de Berlin en a fait un cadeau-surprise à la Ville de Montréal. Le présent lui-même est arrivé à destination comme une tonne de brique, plus précisément comme deux tonnes et demie métriques de béton armé livrées par bateau dans un énorme caisson. La métropole pouvait ainsi se targuer de supplanter sa rivale canadienne au chapitre de la taille du don: la Ville de Toronto en a reçu un modeste morceau qu’elle a enrobé dans une oeuvre d’art public bien en vue au Nathan Phillip Square, devant son hôtel de ville. À Montréal, il a fallu trois ans pour trouver un endroit pour mettre en valeur la «chose». C’est que plusieurs questions artistico-politico-logistiques devaient d’abord être résolues.

Le mur de Berlin est-il une oeuvre d’art? Non. Les musées montréalais n’en ont pas voulu. Est-il un artefact historique? Oui, et de classe mondiale pour un établissement consacré à la mémoire des civilisations. Ottawa et Québec en ont un, pas Montréal. Le Mur est-il une oeuvre d’art public? Il en a toutes les apparences. La piste visant à l’exposer dehors a donc été explorée avant d’être rejetée pour trois raisons. Sans enrobage protecteur, le fragment du Mur risquait de devenir la proie des vandales et des collectionneurs. Enveloppé d’un matériau transparent, il perdait en impact. Dernière considération et non la moindre: il était périlleux de le localiser sans soulever de controverse dans la ville. Imaginez le mur de Berlin dans l’axe Nord-Sud, sur le boulevard Saint-Laurent, par exemple…

C’est une offre de la Société de promotion du Centre de commerce mondial, en 1994, qui a permis de résoudre la quasi-quadrature du cercle. Le fragment du mur de Berlin serait le bienvenu dans le passage piétonnier des édifices qui occupent le quadrilatère compris entre les rues Saint-Pierre, Saint-Jacques, McGill et Saint-Antoine. Ce lieu lumineux est le prolongement de ce qui était la ruelle longeant les fortifications de Montréal, érigées à compter de 1714. Cet autre mur a été démoli en 1801 afin de relier sans entrave la vieille ville aux nouveaux quartiers de la métropole en plein essor. Ce lieu hautement symbolique a un vilain défaut: il est demeuré pratiquement confidentiel.

«Ce morceau de mur est couteau qui fendait un coeur en deux.» C’est ainsi que débute le touchant poème de l’auteur allemand Fritz Grasshof affiché du côté est du Mur et qui fait partie intégrante du cadeau berlinois. Pour prolonger la visite, prenez-le en note pour le mémoriser. Prenez aussi le temps de lire lentement les panneaux d’interprétation situés du côté République démocratique allemande du Mur. Ils nous apprennent entre autres que 78 personnes – au moins – sont mortes en tentant de le franchir. Prenez le temps d’imaginer 170 kilomètres de cette grisaille où n’apparaissent que des numéros noirs et ocres. Et allez voir de l’autre côté du segment les taches orange, turquoise et bleues lancées sur le béton comme autant d’hymnes à la vie par de jeunes Allemands de l’Ouest qui ont fait du Mur la plus grande murale du monde. À l’Ouest, ces graffitis laissaient déjà présager sa chute. «Ce morceau de béton est message: la liberté d’un peuple est indivisible», conclut le poète Grasshof. À l’Est, autrement, il est aussi tombé avant qu’il ne tombe.

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À voir en complément: le film La Vie des autres (2007), du réalisateur Florian Henckel von Donnersmonck, Oscar du meilleur film en langue étrangère.

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