Impressions brouillard levant

Au printemps 2009, le photojournaliste François Pesant et moi nous sommes envolés, avec carnets et caméras, de notre île du Saint-Laurent vers une autre terre entourée d’eau : le Vieux Rocher. Notre mission : rencontrer, puis raconter – en mots et en images – les artistes et artisans du Réseau culturel francophone de Terre-Neuve-et-Labrador.

Nous avons d’abord jeté l’ancre à St-Jean, la capitale, par une nuit de pluie et de brouillard, quelques jours avant le 60e anniversaire de l’entrée de cette province dans la Confédération canadienne. Pendant une trentaine de jours, nous avons découvert, dans la Capitale et ses environs, dans la péninsule de Port-au-Port et à Labrador City, des êtres merveilleux, des paysages à couper le souffle ainsi que des petites et grandes histoires de combats pour la survie et la vie ; des récits de partage et… d’amour aussi.

Pendant notre accostage, nous avons croisé sur notre route des êtres talentueux, ingénieux et généreux. Talentueux dans leurs œuvres. Ingénieux dans les moyens déployés pour les diffuser. Généreux dans leur engagement dans leurs communautés. Et profondément fiers de faire vivre et de propager la culture francophone, qu’importe leur langue maternelle et leur origine sur la planète.

Power, Driedziec, David, Rowe, Planchat, Benoit, Abrard, Enguehard, Wilkshire, David, Fidler, Robichaud, Thomas, Félix, Kaarshemaker, Thibodeau… Ces noms aux consonances multiples témoignent de la diversité géographique et linguistique des racines des artistes et artisans du Réseau culturel francophone de Terre-Neuve-et-Labrador.

Qu’ils soient nés sur la côte Ouest de Terre-Neuve, au Québec, en Acadie ou en France; dans la capitale de la province ou dans ses villages côtiers en majorité anglophones; ou encore aux Etats-Unis, en Angleterre ou en Nouvelle-Écosse; tous participent à la vitalité de la culture francophone dans cette province immense où, selon les statistiques, 99,5% de la population est née en anglais.

À l’Anse-à-Canards, à Flat Rock, au cœur du vieux St-Jean de Terre-Neuve/Domwtown St.John’s, comme à Labrador City et partout ailleurs durant notre mission, les Québécois que nous sommes avons été accueillis avec chaleur et simplicité. Comme on reçoit les membres de sa famille. D’une famille élargie, éclatée, souvent dispersée, reconstituée mais néanmoins tricotée serrée. La petite mais néanmoins grande famille des Terre-neuviens et Labradoriens d’expression française.

Nous espérons que nos mots et nos images sauront faire partager la richesse artistique et humaine de la province, par-delà les grandes eaux qui entourent Terre-Neuve et les centaines de kilomètres d’épinettes qui nous séparent du Labrador.

Jacinthe Tremblay, aux textes et François Pesant, aux portraits.
Mars 2010

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Texte écrit pour le lancement du Répertoire des artistes et artisans du Réseau culturel francophone de Terre-Neuve-et-Labrador au Centre des Grands Vents, à Saint-Jean de Terre-Neuve, le 26 mars 2010.

Cinq observations préliminaires sur Terre-Neuve

1- Les Terre-Neuviens et les Terre-Neuviennes sont accueillants – au point où on se demande s’ils ne sont pas un peu Newfie. Un exemple? Des pêcheurs de Fogo Island que je n’avais jamais vu de ma vie m’ont fait un cadeau incroyable il y a une heure. Ils étaient cinq ou six prenant une bière en en regardant deux autres réparer des filets à la main, quand je leur ai demandé où il était possible d’acheter des fruits de mer. «Tout est fermé mais je pense qu’on peut te trouver quelque chose », m’a dit l’un d’eux. Et il est revenu avec cet énorme sac de crevettes qui a trôné sur ma terrasse, le temps d’une photo.

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2- Quand quelqu’un dit qu’il va à Terre-Neuve, demandez-lui OÙ?. Car dire qu’on va à Terre-Neuve, c’est l’équivalent de dire qu’on va en Afrique. Terre-Neuve est IMMENSE : plus de 15 000 kilomètres de côtes et des centaines de kilomètres de lacs et de forest à l’intérieur. Donc, on va à Gros Morne, ou à St.John’s, ou à Cap Saint-Georges, ou à Bonavista. Comme on dit, quand on passe ses vacances au Québec, qu’on va aux ïles de la Madeleine, en Gaspésie – dans la Baie des chaleurs même -, ou dans Charlevoix.

3- Quand quelqu’un dit qu’il va à Terre-Neuve, la réaction habituelle est le trouver un peu étrange – voir masochiste – de choisir un coin aussi «froid», «venteux», «pluvieux», «humide». Bref, un temps de chien ou encore de merde ou pire, de cul. Or, voir point 1, ça dépend de OÙ on va. Il n’y a pas une météo de Terre-Neuve – sauf à Radio-Canada. Il y a celle de Gros Morne, de St.John’s. de Cap St-Georges, etc. Inutile de poursuivre, vous avez compris. Mais ce qui est le plus important, du moins depuis mon arrivée il y a trois jours, c’est qu’il a fait principalement  BEAU ET CHAUD  à Twillingate, là où j’étais. Tout comme il fait – faisait, le ciel se couvre – BEAU ET CHAUD à Fogo Island, là où je suis depuis quelques heures.

4- Si vous demandez votre route à quiconque est né sur cette île, il vous dira d’abord comment ne pas vous y rendre ou, plus précisément, comment savoir que vous vous êtes égaré. Et ensuite, il vous indiquera le bon chemin. Cette observation m’a d’abord été passée par Chris Driedzec, un artiste de St.John’s né en Nouvelle-Écosse et qui a étudié à l’Université Bishop, de Lennoxville. Depuis, elle se confirme à tout coup. Ainsi, pour venir où je loge, une dame m’a expliqué qu’il y aurait un virage à droite. Mais ne le prends pas : continue tout droit. Si tu ne vois pas une van blanche près d’une maison blanche dans deux minutes, ça veut dire que tu t’es trompée. Cette chose est totalement inutile à savoir mais je la trouve amusante.

5- Si un locateur de cabine, de lodge ou tout autre sorte de gîte vous dit qu’il y a un accès à Internet sans fil dans cette propriété, c’est vrai. Par contre, il pourrait arriver qu’il ne sache pas comment vous faire accéder à son serveur. Comme il pourrait arriver qu’il le sache et décide, consciemment, de vous faire croire qu’il ne le sait pas. Pour vous faire décrocher, justement. Pour traiter, brutalement mais fort efficacement, votre besoin maladif de vérifier vos courriels, de prendre connaissance des nouvelles de votre ville de résidence, ou de partager vos observations dans votre blogue.

Je soupçonne mes hôtes de Twillingate d’avoir pris une telle décision. À la place, j’ai pu goûter pleinement le FUN, FISK and FOLK de leur coin de pays. Et arpenter des sentiers magnifiques sous la FOG.

Maintenant arrivée à Fogo Island sans me perdre – et reliée à Internet – je peux amorcer mes vrais observations sur Terre-Neuve.

Confusion urbaine sur les corneilles et corbeaux

Ça, c'est une corneille.

Ça, c'est une corneille.

Il y a quelques jours, pendant un passage matinal à l’enclos canin du Parc Lafond, un son strident s’est élevé au-dessus des têtes des maîtres et maîtresses de chiens urbains rassemblés sous un arbre pour échapper à la pluie. «Regardez, c’est un corbeau!», a lancé une dame. Je n’ai pu résister à la corriger en l’informant que l’oiseau noir en question était une corneille.

J’avais, en plus, trois bonnes raisons d’affirmer une telle chose avec aplomb.

– Les batailles de Madame Perreault (années 60 et plusieurs autres décennies).

J’ai vu et entendu des corneilles pendant toute mon enfance et mon adolescence dans la Vallée de la Matapédia. Elles sont bruyantes, capables avec leurs cris stridents de réveiller tout un village. C’est d’ailleurs ce qu’elles faisaient à Sayabec, au grand dam de notre voisine. Madame Blanche Perreault claquaient aux aurores et plusieurs fois pendant la journée une partie de sa corde de bois sur le mur de sa maison pour tenter de les chasser de son beaucage. Ces damnés d’oiseaux noirs, pestait-elle, mangent mes framboises. Or, ces damnés d’oiseaux noirs n’étaient absolument pas impressionnés par les bruits de  bois claquant sur le bois. Elles s’envolaient en formant un gros nuage noir… et reprenaient leur place dans le beaucage quelques instants plus tard. Et le manège recommençait : cris de corneilles; claquements de bois sur bois; nuage noir,  reprise de contrôle du beaucage; cris de corneilles; claquements… Le manège a duré toute mon enfance et n’a cessé, j’imagine, qu’au décès de Madame Perreault,  à l’âge de 98 ans. J’ose croire que sa bataille éternelle contre les corneilles a stimulé sa soif de vivre.

– Envahissement des terres agricoles par les corneilles (2009)

Aux nouvelles ces jours-ci, on parle beaucoup de l’envahissement des corneilles dans les champs de la plaine du St-Laurent. Elles menacent les récoltes de plusieurs producteurs agricoles qui sont à la recherche de moyens de se débarrasser de ces damnés d’oiseaux noirs qui sont, dans certains champs, entre 200 et 300. Je souhaite pour eux qu’ils trouvent cette solution mais je crains que leurs efforts soient, comme celles de Madame Perreault, comdamnées à l’échec. L’ornithologue Jean Provencher conseillait d’ailleurs aux producteurs de «faire avec», comme avec la météo d’ailleurs.

– Montréal et – même son Mont-Royal – ne sont pas à la hauteur pour un corbeau

Ça, c'est un corbeau.

Ça, c'est un corbeau.

Voyons un peu comment on parle du corbeau dans l’Encyclopediacanadiana.  «Le Corbeau ressemble à la Corneille, mais il est plus grand et son bec est beaucoup plus fort. De plus, les plumes de sa gorge sont pointues et allongées. Les corbeaux sont des charognards. Ils vivent dans les régions montagneuses ainsi que dans les contrées sauvages au relief accidenté.»

Bon. Montréal a tout ce qu’il faut pour des charognards… Mais disons que ce n’est pas précisément une région montagneuse, malgré la présence du Mont-Royal et des autres Montérégiennes. Pour un corbeau, ce sont des bosses. Le relief accidenté? Ça, Montréal en offre en abondance avec les nids de poule, les crevasses sur la majorité des rues et des trottoirs. Mais encore une fois, les exigences du corbeau sont plus élevées.

À preuve, j’ai vu des corbeaux à deux reprises au cours de la dernière année. C’était dans le désert de la Vallée de la mort et au Labrador, plus précisément à Labrador City et dans ses environs. C’est gros un corbeau. Gros presque comme une poule. Mais contrairement à la poule – dite pas de tête – le corbeau est un oiseau dit très intelligent. Et rusé. J’imagine que si une Madame Perreault claquait bois sur bois pour en effrayer un, il ne broncherait pas.

Il? Le corbeau, comme la corneille, a ses mâles et ses femelles. Comment reconnaître le sexe de ces damnés d’oiseaux noirs? Je l’ignore. Mais chose certaine, LA CORNEILLE N’EST PAS LA FEMELLE DU CORBEAU.

Le temps qu’il fait : clin d’oeil du 14 juillet aux Français de Terre-Neuve

Le temps qu’il fait à Montréal en cet été 2009 est… étrange. En quelques heures, on se promène entre la canicule, le froid automnal, la pluie tropicale et le vent doux de mai. L’obsession météo est à son comble. Ici, comme ailleurs. Pour la nième fois, la radio annonce le report du lancement de la navette qui doit propulser l’astronaute québécois Julie Payette dans l’espace. Les fraises ne goûtent rien. Des pans entiers de routes et d’autoroutes se sont affaissés le week-end dernier. On ne sait plus quel vêtement porter pour toute sortie qui dépasse cinq minutes.  Les caprices de la nature sont devenus LE sujet qui amorce toutes les conversations dans l’enclos canin du Parc Lafond, à Rosemont. L’obsession météo est à son comble (bis).

Et pourtant, il se trouve quelques personnes pour s’inquiéter de mon prochain départ vers Terre-Neuve. «Tu vas à Terre-Neuve!  Quelle drôle d’idée d’aller y passer ses vacances! Il fait un temps de chien là-bas!». Bref, on redoute pour moi les pires conditions météo,  comme… la pluie abondante et le froid automnal. Sans nier les dangers qui me guettent, je prends ces mises en garde avec un grain de sel. Avec un grain de grêle même. Car s’il y une chose dont je me fous royalement,  c’est bien l’étrangeté de la météo terre-neuvienne.  Ou plutôt non. J’aime bien le suspense du temps qu’il fera sur le Rocher pendant mon prochain séjour. Au fil de mes accostages sur cette île immense, j’ai même appris à aimer ses changements brusques du mercure. Je me rappelle avec le sourire de  l’apparition d’un nuage de brouillard dans une foule pendant un concert  en plein-air, il y a quelques années. Magique! D’autant plus que cette intrusion de Dame Nature entre la scène et les spectateurs a provoqué un formidable éclat de rire collectif. Magique (bis)!

Magique, parce que ces gens réunis dans un parc de St-Jean venaient de donner là une leçon de vie que nous devons à tout prix intégrer : le temps qu’il fait, il faut faire avec. J’entends ici des voix s’élever contre cette approche qui fait abstraction du rôle des humains dans les bouleversements actuels du climat.  Je n’ignore pas cette responsabilité. Je crois simplement que l’obsession du climat est une perte d’énergie inutile, voire même dangereuse. Au quotidien – et tout en posant tous les petits gestes indispensable pour stopper le réchauffement de la planète -, il faut composer avec le temps qu’il fait.

C’est ce à quoi je pensais en écoutant les membres de l’équipe matinale de Radio-Canada pester contre la température en prenant mon café en ce matin du 14 juillet 2009 – jour de la fête des Français. Et je me suis rappelée les mutations brusques du paysage aperçu du balcon de mon gîte de Cap St-Georges, dans  Péninsule de Port-au-Port, à Terre-Neuve, le printemps dernier. Cette région du Rocher est habitée par des descendants de Français de France, de Français des îles de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que d’Acadiens. Cette bande de terre qui baigne dans le Golfe Saint-Laurent est désignée sur les cartes touristiques comme la French Shore. On y joue des airs d’accordéon et de violon d’une parenté troublante avec ceux du folklore québécois. C’est pour cette culture que j’étais là le printemps dernier.

À Cap St-Georges, Péninsule de Port-au-Port, Terre-Neuve, le 11 avril 2009

À Cap St-Georges, Péninsule de Port-au-Port, Terre-Neuve, le 11 avril 2009

Mark Cormier, joueur de violon, conteur et directeur d’une des écoles françaises de la région, m’a dit le 11 avril que cette péninsule était «Le pays du Bon Dieu». Ce jour-là,  même les agnostiques auraient pu le croire.

Le lendemain par contre, le même environnement avait plutôt des allures de Terre de Caïn. À la même heure que la veille, et sensiblement du même point, voici de quoi avait l’air le Cap St-Georges.

Le 12 avril 2009, le Pays du bon Dieu était devenu La Terre de Caïn

Le 12 avril 2009, le Pays du bon Dieu était devenu La Terre de Caïn

Et vous savez quoi? Quand je suis descendue pour prendre mon café matinal,  Jenny Fenwick – l’hôte du Bed and Breakfast où j’habitais –  a commenté le temps qu’il faisait ce matin-là dans un grand éclat de rire.