Quand je raconte Terre-Neuve en mode papier – deuxième partie

L’édition mai-juin du magazine Géo plein air, fraîchement arrivé en kiosque à Montréal, offre, sous ma signature, un (autre) reportage sur Terre-Neuve. Titre : Le Vieux Rocher en trois temps.. Trois temps, pour trois régions : la péninsule d’Avalon, le parc national du Gros Morne et les îles du nord est de l’île : Twillingate et Fogo.

Pour en savoir plus sur ces lieux, sachez, si vous êtes nouvellement venus dans ce carnet, que j’ai commis plusieurs billets qui les décrivent et racontent leurs habitants. Pour les consulter, il suffit de cliquer sur les mots Terre-Neuve, St.John’s ou Saint-Jean de Terre-Neuve, Fogo et Twillingate dans le «nuage de mots-clés« de ce site ou de les inscrire dans le moteur de recherche.

Le reportage de Géo plein air présente également l’une des photos de mon séjour de l’été dernier. Pour la rendre publiable, j’ai profité de l’expertise de deux «vrais» photographes : ma fille Luce et nul autre que le grand Bernard Brault. J’ai aussi profité de la patience de mon ami Michel Gaudreault – de dos sur la photo – et de mon fidèle chien urbain Saku. Ils m’ont servi de figurants dans cette image croquée sur le sentier de la East Coast Trail qui relie Mobile à Witless Bay.

Michel et Saku sur la East Coast Trail. Été 2009. Photo : Jacinthe Tremblay. Photoshop : Luce TG (pour les contrastes) et Bernard Brault (pour l'horizon).

Après le phoque, le flétan!!!

C’était écrit dans le ciel : des écologistes, Greenpeace plus précisément, ont maintenant déclaré la guerre aux pêcheurs. Aux humains.

Arrivage de flétan aux Îles de la Madeleine, août 2009. Photo : Jean-François Noêl.

C’est n’est évidemment pas comme ça que la chose est présentée dans un article publié hier – le 5 février 2010, dans le quotidien Le Devoir,  hier, sous le titre «Loblaws ne vendra plus de poissons menacés. Greenpeace applaudit». Dans le discours, Greenpeace se targue plutôt de protéger les océans, en particulier en volant au secours des espèces de poisson menacées, comme le flétan, par exemple. Comment? En faisant pression sur ceux qui en vendent – et forcément en attisant la culpabilité de ceux qui en consomment – pour qu’ils cessent ces pratiques qui mettent en péril la survie de la planète. Je n’exagère pas. À preuve, cet extrait de l’article.

» Le groupe environnemental Greenpeace a salué hier la feuille de route que vient d’adopter Loblaw pour cesser la vente d’ici 2013 de tous les poissons menacés d’extinction, dont l’aiglefin et le flétan font partie. Le géant canadien de la distribution alimentaire répond ainsi aux demandes pressantes des écologistes, qui exigent depuis des mois que les poissons vendus au Canada répondent à des critères d’approvisionnement durable. Loblaw, tout comme ses concurrents, était régulièrement montré du doigt.

«Cette décision va dans la bonne direction pour les océans, a résumé hier Beth Hunter, coordonnatrice de la campagne Océans de Greenpeace. En effet, 90 % des grands poissons prédateurs ont déjà disparu de nos océans, et il est grandement temps de retirer toutes les espèces [menacées d’extinction] de nos tablettes.» Hier, cinq supermarchés Loblaws du Québec ont ouvert le bal en n’offrant plus à sa clientèle des poissons dits «à risque» et en l’indiquant clairement sur les étalages. Ailleurs au pays, d’autres supermarchés sélectionnés en ont fait tout autant. «Le but est d’éduquer les consommateurs sur les choix de poissons et fruits de mer issus du développement durable», a indiqué la compagnie par voie de communiqué, qui n’a toutefois pas détaillé la liste complète des poissons qu’elle souhaite à l’avenir retirer de ses tablettes.

Au total, 15 poissons et fruits de mer se retrouvent sur une liste rouge établie par Greenpeace, qui pointe ainsi les espèces dont les méthodes de pêche mettent en péril la survie à court ou à moyen terme. Les poissons d’élevage, quand ils font planer un risque pour l’équilibre écologique, sont aussi visés. La liste comprend l’espadon, la crevette tropicale, le flétan de l’Atlantique, la mactre de Stimpson, les pétoncles géants de l’Atlantique, le thon rouge et le saumon de l’Atlantique d’élevage. Entre autres

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Ces espèces sont-elles menacées? Sans doute. Est-il possible de les pêcher autrement qu’en en épuisant les stocks? J’en suis certaine. Je suis même convaincue qu’il se trouve, sur cette planète d’êtres humains, des hommes et des femmes qui se vouent à développer et mettre en oeuvre de telles pratiques. Et parmi eux, des PÊCHEURS, C’EST À DIRE DES ÊTRES HUMAINS – DES ENFANTS MÊME – DONT LA SURVIE DÉPEND DE CES POISSONS.

En faisant pression pour l’arrêt généralisé de la vente de ces poissons – sans nuance et distinctions des pratiques de pêche – ce sont ces êtres humains que certains écologistes condamnent à l’extinction.

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Mes nombreux séjours à Terre-Neuve et mes origines gaspésiennes ne sont pas étrangers à ma colère et surtout, à mon inquiétude devant les conséquences terribles de telles campagnes sur des milliers de personnes dont la survie dépend des ressources naturelles du sol, du sous-sol et des mers. En lisant cet article du Devoir, je n’ai pu m’empêcher de penser aux chasseurs de phoque, transformés en barbares sanguinaires par la Bardot et Sir Paul. Je n’ai pu m’empêcher de revoir les scènes de violence des chasseurs de chasseurs de phoque au large des ïles de la Madeleine et de Terre-Neuve. Et j’ai tout frais en mémoire ces propos d’un homme de Joe Batt’s Arm qui ignorait s’il allait prendre la mer vers la banquise le 1er avril pour chasser les phoques qui bouffent les morues. «Il y aura des phoques, mais pas de marché pour les vendre», a-t-il résumé.

En lisant cet article, je me suis aussi rappelée le roman Le parfum d’Adam de Jean-Christophe Rufin, paru en 2007 chez Flammarion.

Le parfum d'Adam. Jean-Christophe Rufin. 2007. Flammarion

Le médecin et écrivain y raconte l’histoire d’une jeune militante écologiste, fragile et idéaliste, qui participe à une opération commando pour libérer des animaux de laboratoire. Sur la quatrième de couverture de ce thriller de fiction qui n’en est pas une, il est écrit ceci : «La défense de l’environnement n’a pas partout le visage sympathique qu’on lui connaît chez nous (lire en France). Le recherche du Paradis perdu, la nostalgie d’un temps où l’homme était en harmonie avec la nature peuvent conduire au fanatisme le plus meurtier.»

Voici maintenant un extrait du compte-rendu d’une entrevue accordée par Jean-Christophe Rufin dans le cadre de l’émission Le Bateau ivre après la sortie de son roman.

«Selon Jean-Christophe Rufin, Le Parfum d’Adam n’est pas un roman d’anticipation : il décrit une réalité bien concrète. Rufin s’est inspiré, pour créer son héroïne, du canadien Paul Watson. Celui-ci s’est d’abord engagé aux côtés de Greenpeace dans les années 70, mais très vite, il s’est radicalisé et a crée Sea Shephered, association écologique très controversée. Son objectif est de lutter contre le massacre des baleines. Pour mener à bien cette action, on éperonne ou on saborde des navires baleiniers illégaux en pleine mer. Bref, on fait justice soi-même.

Rufin reconnaît qu’en France on a une vision de l’écologie très réformée, règlementée, idyllique. Mais aux Etats-Unis, on distingue différents courants : les humanistes qui veulent protéger la planète et les terroristes qui n’ont aucunes limites pour parvenir à leurs fins. Ces derniers pratiques une écologie radicale telle qu’elle a été pratiquée lors de son apparition, dans les années 20, à la même époque que les théories sur la pureté de la race. Jean-Christophe Rufin a voulu raconter une histoire décrivant un monde d’écologistes si amoureux des animaux qu’ils en arrivent à détester les Hommes.
Ce roman semble aller à contre-courant de ce qu’on peut voir actuellement sur les têtes de gondoles de nos librairies : non seulement il dénonce une certaine forme d’écologie, alors que ce thème a le vent en poupe, mais en plus, il alerte sur ses dangers puisque le FBI la considère comme la deuxième source de terrorisme mondial !»

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Loin de moi l’idée de comparer la campagne actuelle de Greenpace et ses méthodes à celles de Paul Watson. N’empêche, du flétan au hareng, de la crevette tropicale à celle de Matane, du Saumon d’élevage de l’Atlantique à celui du Pacifique (de Colombie-Britannique plus précisément), il n’y a qu’un pas… Que les bonnes consciences pourraient ne pas hésiter à franchir. Et de multiples dérives possibles, si le passé est garant de l’avenir.

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Mes excuses à Jean-François Noël pour l’utilisation non autorisée de sa magnifique photo de pêcheurs Madelinots publiée sur son tout aussi magnifique blogue Terre et Mer, à visiter absolument à l’adresse http://jfnoel.blogspot.com  et, en cliquant ici pour en voir plus sur l’arrivage de flétans, en août 2009.

Photographie – Lever de brume et de vent sur Tilting, Fogo Island, Terre-Neuve

Jeu de portraits volés  entre le photographe Michel Huneault et moi.  Lieu : Tilting, une communauté de l’île terre-neuvienne de Fogo.

Jacinthe Tremblay ne court pas. C'est le vent qui remue son foulard et les vagues sur les rochers. Photo : Michel Huneault

Michel Huneault ne fuit pas le vent qui fait rugir la mer. Il scrute la baie calme de Tilting. Photo : Jacinthe Tremblay

Une fois de plus. j’ai réalisé que si une journaliste de l’écrit pouvait voir, elle avait encore quelques compétences à acquérir pour faire voir en images.La fameuse balance des blancs , dont le photographe Martin Benoit serait un des as enseignant, selon Luce TG – nom d’artiste de ma repousse féminine –  n’y était pas.

J’ai, devant ce magma de bleu, tenté un amélioration avec l’application IPhoto de MAC. Avec ce résultat.

Michel Huneault croquant peut-être un fragment de mon lever de foulard dans le vent de l'océan entourant l'île terre-neuvienne de Fogo. Photo : Jacinthe Tremblay

Michel Huneault, croquant peut-être le lever de mon foulard dans le vent faisant rugir la mer autour de l'île terre-neuvienne de Fogo. Photo: Jacinthe Tremblay

Luce TG, voyant cette version corrigée de la photo précédente, a commenté qu’il y avait quelque chose là dedans.

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Quelque chose là-dedans. Je ne sais pas pour les photos. Mais je sais pour le moment. L’émotion devant l’infini beauté du monde. Devant l’histoire derrière les pierres tombales de ce cimetière. Devant le bruit infernal des vagues et du vent. Devant le calme de la baie de Tilting. Devant ce lever du jour dans la brume. Et devant le silence aussi. Le silence. Surtout.

À Bruno. Renard soleil levant à Fogo Island

À Brun0*

Autoportrait soleil levant et Penton-le-renard. Joe Batt's Arm, Fogo Island, Terre-Neuve. Janvier 2010. Photo : Jacinthe Tremblay

Quel temps fait-il à Terre-Neuve? Cette  question est revenue sans cesse dans mes échanges de courriel ou téléphoniques avec des proches de Montréal ou d’ailleurs pendant mon récent séjour dans ma Neuve Terre.  «C’est l’été!», a rigolé  le matin de mon départ de Fogo Island, le 7 janvier 2010, un parmi les milliers de Penton de  Joe Batt’s Arm, sur l’île de Fogo. Il exagérait bien évidemment côté météo, tout comme je gonfle indûment le nombre de Penton de Joe Batt’s, une communauté qui compte quelques centaines d’âmes, au plus. N’empêche, le temps qu’il faisait là, ici, comme ailleurs, était, je dirais, curieux.  Pas de neige en janvier, c’était du jamais vu pour les vieux de la place. Quant aux Penton, ils sont très nombreux à Joe Batt’s Arm. Et, ce qui est le plus étonnant, ils ne sont pas tous frères et soeurs, ni même cousins et cousines.

Quand j’ai conversé avec le Penton qui constatait, ce matin là, que l’hiver est à l »envers, je revenais d’une ballade de prospection de caribous amorcée aux aurores, puisque c’est aux aurores que, les jours précédents, On (j’ai appris à l’école primaire que On, c’est à peu près tout le monde, une sorte de Nous qui exclue la personne qui parle) en avait aperçu 20, 50 et même jusqu’à 200 dans les environs de l’aire de jeux d’enfants, au bout d’une voie publique nommée, je dirais,  Penton. Léo (Penton) allait même jusqu’à dire que si je n’en voyais aucun lors d’une marche aux aurores, j’en verrais certainement le lendemain.   Était-ce un pieux mensonge pour m’inciter à rester plus longtemps sur l’île? Ce serait de bonne guerre. Toujours est-il que le 7 janvier 2010,  aux aurores, aucun caribou ne s’est montré le bout du museau au bout de l’artère sans doute nommée Penton.

Une faune différente m’attendait toutefois sur la route. M’attendait-il au fait, ce renard quasi domestique? Chose certaine, Penton – pourquoi pas? –  m’épiait depuis plusieurs minutes quand il s’est rapproché puis a fait quelques pas devant moi, révélant ainsi sa présence et amorçant, du même coup, un petit jeu de «devine où je suis» auquel il s’est livré pendant une bonne trentaine de minutes. Dès que  ce Penton a eu la certitude que j’étais consciente de son existence, il a tôt fait de disparaître derrière un muret de pierre. Juste avant de se soustraire à mon regard, il s’est arrêté quelques instants et il m’a regardé à la manière de Saku lorsqu’il entre dans sa zone de fugue. J’ai alors cru ne plus jamais le revoir. Erreur, il se préparait à ressusciter une centaine de mètres plus loin, bien en vu sous un lampadaire. Il a alors fait mine de m’attendre, comme s’il était disposé à poursuivre la marche à mes côtés. Au pied? Comme un bon chien? Nenni. Quand je suis arrivée  à quelques mètres de lui, il s’est rapidement mais tout en douceur dirigé vers des ombres protectrices.  J’ai eu le temps d’aller au bout de la route constater l’absence de caribou(s), fumer une cigarette en regardant la lune et les étoiles se refléter dans l’eau calme de la baie de Joe Batt’s Arm puis de prendre le chemin du retour vers la maison avant de voir Penton-le-renard faire à nouveau irruption, cette fois, à moins de deux mètres de moi. Il s’est alors mis en position couché-prêt-pour-le-jeu que prend parfois Saku quand il voit un chien ami entrer dans l’enclos canin du parc Lafond, à Rosemont. Je n’ai même pas osé penser que je pourrais m’approcher de lui au point de le cajoler.

Je suis tout simplement demeurée immobile, en silence. Et c’est alors qu’il m’a honoré d’un long moment de mouvements circulaires, là, sous mes yeux et à mes pieds. Je me suis imaginée qu’à sa manière, il dansait pour moi. Et j’ai aussi espéré qu’il m’accompagnerait pour le reste de ma route. Je me trompais, bien sûr. Un renard, même s’il a des allures de chien, demeure, fondamentalement, une bête sauvage assoiffée, par dessus tout, de liberté.

Il a ensuite poussé la confiance et la complicité jusqu’à me laisser le prendre en photo.  Même le clic ne l’a pas fait fuir. Il savait sans doute déjà que les images de lui que je pourrais glaner seraient, au mieux, impressionnistes. Il pourrait donc préserver un certain mystère sur son identité tout en me permettant de faire la preuve de notre rencontre.

Penton-le-renard, Joe Batt's Arm, Fogo Island, Terre-Neuve. Photo : Jacinthe Tremblay

Quelle serait la morale de cette histoire vécue, selon Jean de la Fontaine, lui qui en a tant puisé chez les renards, justement? Je n’ai pas cherché à le savoir. J’ai trouvé la mienne.

Certains êtres humains sont, comme les renards, impossibles à domestiquer. Au sens de perdre leur liberté pour se plier aux diktats, et même aux désirs légitimes de rapprochement, d’autres êtres humains. Ils se rapprochent pour autant que l’on respecte ce qu’ils sont. Au risque même d’en crever. De faim et de solitude. C’est leur choix. Rien à faire. Sauf apprécier les moments rares pendant lesquels ils dansent pour nous. Et même ceux pendant lesquels, faisant mine de fuir, ils se préparent à ressurgir encore plus près. Si nous gardons le silence et demeurons immobiles. Alors là, ils danseront peut-être encore. Et se laisseront prendre en photo. Pour laisser une preuve que notre récit n’est pas une fable, mais la trace de beaux moments.

Penton-le-renard dansant soleil levant, Joe Batt's Arm, Fogo Island, Terre-Neuve. Photo : Jacinthe Tremblay

Écrit en partie à Terre-Neuve et après mon retour à Montréal, janvier 2010.

* J’ai commencé l’écriture de ce texte avant d’apprendre le décès de Bruno Roy. Vous pourrez en apprendre plus sur le personnage public qu’était Bruno en consultant le lien précédent. De toutes les morts qui ne cessent de défiler à la Une des médias depuis quelques semaines (Falardeau, Carle, etc.), c’est celle de Bruno qui m’a le plus touchée. Je me permets le Bruno parce qu’au fil de plusieurs années de rencontres formelles et informelles de co-membership au conseil d’administration de Copibec (la Société québécoise des droits de reprographie), Bruno était devenu mon ami. De combat pour le respect du droit d’auteur. Mais surtout d’affection. De ces gros et si bienfaisants HUGS, sans équivoque, entre un homme et une femme.

Notre dernier HUG, c’était pendant le Moulin à paroles, sur les Plaines d’Abraham, en septembre 2009.  Écrire, comme une écrivaine. Il visitait ce petit site quant je l’invitais à le faire. Et il m’avait dit aimer que peu importe ce que j’écrivais, y compris des articles pour La Presse AFFAIRES, il y avait toujours un côté social dans mes articles. Nous avons rigolé de mon passage de journaliste à la UNE à blogueuse. Et il m’avait alors encouragé à poursuivre mes récits de voyage et m’avait même suggéré un éditeur. Après notre rencontre au Moulin, je lui avais envoyé un courriel :

Bonjour Bruno,

je t’ai revu hier avec un immense plaisir. J’espère qu’il y aura d’autres occasions de rencontres. Ou nous les provoquerons. Je te renvoie le lien avec mon petit blogue. https://neuveterre09.wordpress.com. Tu peux aussi y accéder par, plus simplement – www.jacinthetremblay.com

J’ai écrit trois textes sur le Moulin. Un avant et deux depuis.

Et par la magie des nuages de mots-clés, tu pourras aussi aller te balader à Terre-Neuve… Ils font partie de ce que vois de plus en plus comme des segments de carnets de voyage que j’y publie depuis janvier dernier, entre des histoires de chien urbain et de récoltes de milles aériens.

Au plaisir

Jacinthe

Le texte que je portais particulièrement à son attention était celui-ci. Son titre est : « Au refus global, nous opposons la responsabilité entière».

Quelques heures plus tard, le le 15 septembre 2009, j’ai reçu ce courriel.

Jacinthe,

Viens de lire tes commentaires liés à l’événement qui est devenu un avènement de la parole. Je partage entièrement ton point de vue.

Bravo.

C’est, et ce sera, ma dernière rencontre avec Bruno. Mais quand j’ai appris sa mort, j’ai imaginé qu’il avait glissé ailleurs, doucement, pendant que je regardais la lune et les étoiles, à Joe Batt’s Arm, Fogo Island, Terre-Neuve, le 7 janvier 2010. Et que j’écrivais déjà, dans ma tête, ce segment de carnet de voyages qye fut ma rencontre avec Penton-le renard, la bête sauvage délicieuse qui a dansé pour moi, cette nuit de son grand départ.

En méditant Fogo Island – bis

Rappel : lire ou relire d’abord mon billet En méditant Fogo Island… en cliquant ici

En méditant Fogo Island – bis.

Jacinthe Tremblay

Depuis la fin de mon séjour de près d’un mois à Terre-Neuve, les images qui me reviennent le plus souvent en tête sont celles des quelques heures passées à Fogo, la plus grande île au large des côtes de cette immense île qu’est la New Founded Land.

Des paysages à couper le souffle, ai-je déjà écrit. Étranges aussi. Comme ce Brimstone Head, ce rocher improbable qui surplombe l’île et s’avance dans la mer. La Flat Earth Society assure qu’il est l’un des quatre coins de la terre. Ironie, évidemment, puisqu’en franchissant l’interminable escalier de bois construit par des gens de Fogo pour en faciliter l’ascension, on peut très bien voir la courbe de la terre à l’horizon. La forme de notre planète, vue du sommet de Brimstone Head, est perceptible au regard. Et si ce n’était du vent, il y aurait là-haut un silence comparable à celui du désert. Troublant aussi de voir la mer depuis son sommet, à travers la brume.

Brimstone Head, Fogo Island. Photo : Jacinthe Tremblay

Brimstone Head, Fogo Island. Photo : Jacinthe Tremblay

Des gens aussi à couper le souffle. Étranges aussi. Par leur générosité. Comme ces pêcheurs qui m’ont donné, le jour de mon arrivée, un bon 5 kilos de crevettes. Et ce Marshall, qui prend soin du camping du Club Lions situé au pied de Brimstone Head, et qui m’a offert à petit prix la moitié de sa demeure pour que je puisse, au chaud et dans le confort, séjourner dans son île avec mon chien. Et ce Corbitt, propriétaire du marché d’alimentation de Joe Batt’s Arm, une des petites communautés de l’île de Fogo, qui m’a fait monter sur son bateau pour suivre, depuis la mer, la Great Punt Race Regatta. Et Samantha, apprentie chef cuisinière au Nicole’s Café de Joe Batt’s Arm et concurrente de cette course forcée à l’abandon par une méchante crampe.

Samantha, quelques instants avant son abandon de la Great Punt Race Regatta. Photo: Jacinthe Tremblay

Samantha, quelques instants avant son abandon de la Great Punt Race Regatta. Photo: Jacinthe Tremblay

Et Zita Cobb, accueillant les concurrents de la Great Punt Race Regatta sur le quai de Fogo, après leurs 18 kilomètres de course dans des chaloupes à rames dans les eaux tumultueuses entre les îles Fogo et Change. Et Zita Cobb, la richissime Zita Cobb, croquant la remise de prix de cette course avec son minuscule appareil photo, comme la groupie d’une compétition de Formule 1. Et Zita Cobb, regardant deux jours plus tard avec une joie d’enfant mes quelques photos de la Great Punt Race croquées depuis le bateau de Corbitt. Et Zita, encore, me confiant ce soir-là, au Nicole’s Café, les grandeurs et misères de ses efforts pour qu’il y ait une «suite du monde» pour les habitants de son île natale.

Zita Cobb, croquant la remise de prix de sa Great Punt Race Regatta. Photo : Jacinthe Tremblay

Zita Cobb, croquant la remise de prix de sa Great Punt Race Regatta. Photo : Jacinthe Tremblay

Ce soir-là, quand Zita m’a confiée qu’il lui était beaucoup plus difficile de «donner» à Fogo que de «faire le bien» en Afrique – ce qu’elle a d’abord fait aux premières heures de ses activités philanthropiques -, je lui ai spontanément parlé de Guy Laliberté et de son projet d’aller dans l’espace pour y orchestrer une mission sociale et poétique. Elle ne connaissait ni ce projet ni l’homme. Je lui ai alors expliqué que son Cirque menait depuis des années des actions sociales dans plusieurs pays du monde dans l’admiration générale des biens pensants de tous les horizons. J’ai aussi prédit à Zita que sa mission sociale et poétique serait reçue, comme sa Great Punt Race Regatta et ses projets de mise en valeur de son île par l’art et la culture, dans un mélange d’enthousiasme – ailleurs que chez lui – et, à proximité, par beaucoup de scepticisme – au mieux – et énormément d’adversité.

«Vous devriez vous rencontrer. Vous êtes dans une quête semblable. Vous êtes confrontés aux mêmes enjeux, aux mêmes questions», ai-je suggéré à Zita.   Nous avons convenu de poursuivre la conversation, quelque part pendant l’automne 2009. Nous avons depuis confirmé par courriel que nos échanges allaient de poursuivre.

C’était avant le 9 octobre, jour du spectacle De la terre aux étoiles lancé par Guy Laliberté depuis la Station spatiale internationale, dans l’espace et amorcé, sur la scène de la TOHU, la Cité des arts du cirque, à Montréal. Cet ensemble, qui réunit le siège social international du Cirque du Soleil et une résidence pour ses artistes, l’École nationale de cirque et le pavillon TOHU, est, en quelque sorte, la Station terrestre internationale de Guy Laliberté. TOHU existe d’ailleurs en très grande partie grâce à sa philanthropie. Mais ça, c’est une autre histoire.

Le 9 octobre, j’ai assisté à la captation du segment montréalais de ce spectacle puis à sa diffusion sur écran des autres pièces de ce puzzle artistique géant depuis un siège de la salle de la TOHU.  J’étais, en quelque sorte, comme lors de la Great Punt Race Regatta, dans un bateau qui suivait de très près les protagonistes de cette course artistique et technologique autour du monde.

Pendant ces deux heures, j’ai senti, dans la salle, des vents froids semblables à ceux qui soufflaient sur la mer et dans les cœurs des gens massés sur le quai de Fogo, le jour de la Great Punt Race Regatta. J’ai vu et lu, dans les médias d’ici, l’hostilité devant la démesure des moyens déployés par Guy Laliberté pour sensibiliser les Terriens à la cause de l’eau et aussi, les critiques impitoyables du spectacle lui-même. J’ai aussi lu et vu, les réactions émues et parfois démesurément positives, des milliers d’internautes qui, depuis le début de la diffusion de cette expérience sur le WEB, invitent leurs amis Facebook à le regarder et prennent, via le site de One Drop, un engagement concret pour faire avancer la cause de l’eau. Leur goutte à la fois.

Enthousiasme, donc, ailleurs. À proximité, beaucoup de scepticisme – au mieux – et énormément d’adversité. De la part des médias d’ici, d’abord et surtout. Avec une insistance à documenter l’échec qui frôle l’acharnement.

Pendant ce temps, je le rappelle, des Internautes de tous les pays – et des jeunes au premier chef – sont éblouis. Sont-ils cons? Ont-ils oublié les horreurs du monde en regardant – et découvrant, pour nombre d’entre eux – des images à couper le souffle de la beauté de notre planète? Croient-ils vraiment qu’ils résoudront la crise de l’eau en cessant d’utiliser de l’eau en bouteille, comme les incite à le faire One drop? NON, bien évidemment! Le penser même serait faire preuve d’un mépris incroyable pour l’intelligence humaine.

Pourquoi ces réactions aux antipodes? Et si c’était, tout simplement, l’incapacité des uns et la capacité des autres de se laisser aller à l’espoir que leur goutte à la fois, si petite soit-elle, fera une différence – qu’importe ce qui, qui et comment fait naître ce sentiment? Je ne sais pas.  Je n’ai donc pas fini de méditer Fogo Island…

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Écrit le 13 octobre 2009, sur la table de ma cuisine de Rosemont, à Montréal, en écoutant la revue de presse dévastatrice des médias d’ici sur le spectacle De la terre aux étoiles les ondes de Radio-Canada.