Chants félins sur The Battery

Trahison, infidélité, cruauté? Choississez l’insulte. Vous ne trouverez jamais pire que celles lancées dans le dernier regard de Saku avant mon départ, hier, pour St.John’s. Mon chien urbain, quelquefois aérien, a bien compris au cours des derniers jours que sa maîtresse prendrait le large. Sans lui. Que des vêtements et des appareils électroniques dans mes bagages, constatait-il. Soupçonnait-il, ce qui ne m’étonnerait pas, que j’irais en plus partager ma vie pour quelques jours avec un chat? Qu’il connaît en plus, sans l’avoir jamais vu?

C’est que l’été dernier, Saku et Grostaski* ont pendant deux semaines joué à chien et chat. Lui, à l’étage, et lui, au rez-de-chaussée d’une petite maison avec vue dans le quartier The Battery, à St-Jean de Terre-Neuve. Pendant leur cohabitation, Saku et Grostaski n’ont jamais été en présence l’un de l’autre. Mais Dieu qu’ils épiaient, de tous leurs sens, tous leurs faits et gestes.

Cette fois, Saku est demeuré à ma résidence de Rosemont. Grotaski, quant à lui, est assigné à résidence dans la maison de ses maître,  pour cause d’infection urinaire qui ne peut se vaincre que par la dégustation de deux pilules par jour, matin et soir. Or, comme la durée de ses rondes de matou dans les recoins de The Battery sont imprévisibles, je résiste fermement à ses miaulements lancinants en direction de la porte de la terrasse. Monsieur reste donc avec moi et ses chants, d’abord stridents et revendicateurs  se transforment, par lassitude peut-être, en de puissants ronronnements, quelques frôlements bien sentis de sa maîtresse d’occasion et une descente au rez-de-chaussée, pour aller se blotir dans le lit de ses vrais maîtres.

* Grostaski?

Grostavsky?

En fait, ce n’est peut-être pas le nom de mon protégé. Groslaski? Grostoski? Grotovski? Toutes ces options sont possibles. Chose certaine, il y a le son gros et quelque chose comme un jeu de mot avec Grotowski.

J’ai décidé qu’il s’appelait Grostavski, comme dans – je m’en excuse – Gros tas – v (comme dans le w du metteur en scène russe ) et ski, comme dans le sport. De toute manière, il ne répond qu’aux appels des croquettes. Et il s’appelerait Zorro, Rembrant ou Mickey Mouse, je l’aimerais bien quand même.

Conte terrien 2009 – Levers de soleil sur l’infini et chien urbain

À Léo.

Levers de soleil sur l’infini

«Y a pas d’vue!», a décrété mon père Léo avant d’entrer dans le logement que je venais d’acquérir dans le Vieux-Rosemont, à Montréal, en 2001. Sur le balcon avant, il avait vainement tenté de déceler un coin de montage, un soupçon de forêt, un terrain vague, à défaut d’un champ… Il ne voyait que des habitations de trois étages, collées les unes sur les autres, formant, à ses yeux, un mur de brique.

J’ai protesté, vantant les charmes des escaliers en serpentin et des détails architecturaux des habitations de mes voisins. J’ai souligné les avantages de vivre à proximité de la rue Masson, une véritable artère commerciale de quartier, où l’on peut tout trouver, même un ami. Et la présence, à quelques minutes de marche, de beaux parcs et du Jardin botanique. Je lui ai aussi rappelé que j’avais la chance inouïe d’avoir une cour, à l’arrière.

Après avoir traversé le logement pour inspecter cette fameuse cour, Léo a émis un autre verdict assassin : «Le terrain est croche!». J’ai encore une fois rouspété. «Ben voyons donc¡ Le terrain n’est pas croche, il est en pente. C’est rare à Montréal de vivre sur une colline. J’adore ça!».

«Tanr mieux pour toi si tu aimes ça», qu’il m’a dit, regrettant déjà d’avoir jeté des ombres sur mon enthousiasme. Le mal était fait. Ses remarques avaient réveillé mon plus grand regret immobilier.  Si, en choisissant de vivre dans la Métropole du Québec,  j’ai fait sans peine le deuil de posséder un jour une maison à trois étages, je supporte beaucoup plus difficilement l’étroitesse de l’horizon qui est depuis mon lot quotidien. Difficile, en effet, de renoncer à ces «vues» qui ont nourri mon enfance et mon adolescence, dans la Vallée de la Matapédia, et mon entrée dans l’âge adulte sur les bords du Saint-Laurent, à Rimouski.  Quand on a grandi entre deux chaînes de montage, avec des bruits de rivière comme berceuse et un lac immense comme piscine, la quête de «vue», dans la définition qu’en avait mon père,  est inscrite dans son ADN.

Ma maison paternelle, Sayabec, Vallée de la Matapédia au Québec.

Je n’ai jamais réussi  à faire comprendre à mon père qu’en acquérant un modeste logement sans «vue», dans un quartier de Montréal qui, en 2001, n’était pas encore frappé par la spéculation immobilière, je créais l’espace nécessaire dans mon budget pour m’offrir, et à petit prix,  les plus belles vues de la planète. Depuis 2001, j’ai donc arpenté les sentiers du Paradis bohémien, à la frontière entre la République tchèque et la Pologne; j’ai marché dans les forêts humides du Costa Rica; j’ai plusieurs fois regardé la mer en marchant sur le Malecon, à la Havane; j’ai fait des sauts de puce et des séjours plus long dans les déserts du Nevada et de Californie… Zabriskie Point… La Vallée de Panamint…

Mon premier lever de soleil à Zabriskie Point, Vallée de la mort, Californie, février 2007. Photo : Jacinthe Tremblay

Je suis retournée des dizaines de fois dans ma Vallée natale, chaque fois touchée par la majesté du Fleuve, des Chic-Chocs et des Appalaches, ces chaînes de montagnes qui ont été mon terrain de jeu jusqu’à 18 ans. Depuis le dernier souffle de Léo, pendant un magnifique coucher de soleil, le 22 avril 2008, j’ai fait de Terre-Neuve ma «neuve terre», celle où je me gave de grandes eaux, de montagnes et d’horizons infinis. D’une certaine manière, j’ai le sentiment de respecter sa vision de la «vue», à la puissance mille.

En 2009, à la faveur du boulot, j’y ai séjourné plus de deux mois, entre Fog, rochers et autres beautés.

***

Mon choix immobilier de 2001 a donc eu les effets escomptés. Je remplis, le plus souvent possible par des voyages avec «vues», l’espace laissé dans mon budget par l’acquisition d’une propriété abordable. Et si je peux me permettre ces escapades fréquentes, c’est aussi grâce à un autre legs de mon père : un souci de tous les instants d’étirer le dollar par une saine gestion des revenus et dépenses.  Et en tirant profit, allègrement, de toutes les offres, même celles qui semblent les plus farfelues, des concepteurs du programme de fidélisation Aéroplan.

C’est ainsi que dans quelques heures, je m’envolerai à nouveau vers St.John’s, Terre-Neuve, grâce  à des milles aériens récoltés dans les bacs de recyclage du Vieux-Rosemont, depuis 2007.  Cet exploit, je le dois, je crois, à un autre ingrédient inscrit dans mon ADN : la capacité qu’avait ma mère, une Montréalaise, de «voir» et d’apprécier les multiples splendeurs des environnements densément peuplés. Et j’ai exercé cette habileté avec une intensité accrue depuis l’arrivée d’un chien dans ma vie, en juillet 2002.

***

À Thérèse

et chien urbain

Il s’appelle Saku et il partage ma vie, depuis bientôt six ans, pour le meilleur et trop souvent pour le pire. Mes promenades quotidiennes avec ce  diable d’animal, proche descendant du loup carnassier, m’ont permis de découvrir avec ravissement les moindres détails des infrastructures et aménagements urbains de Montréal, ceux du Vieux-Rosemont en particulier. Je me suis, à maintes reprises, nourri de la beauté des levers de soleil au-dessus des toitures des logements ouvriers centenaires de mon quartier d’adoption.  Je ne cesse de me délecter à la découverte des vitraux qui ornent encore plusieurs fenêtres de mon quartier ainsi que des sculptures de castors et feuilles d’érables, entre autres, qui agrémentent certaines façades de brique des environs de ma résidence.

Mes marches avec mon chien urbain m’ont aussi rapproché des humains qui m’entourent, transformant ce coin de ville en village. Je ne compte plus les visages connus et reconnus au fil des mois de promenade au bout de la laisse; de leurs sourires complices et, parfois même de leurs confidences. Tout comme je ne cesse d’additionner les nouvelles et belles connaissances – les nouvelles amitiés même – tissées lors de mes fréquentations d’enclos canins, à Rosemont et à Outremont.

C’est aussi grâce à ce devoir de maîtresse d’un chien urbain que j’ai constaté, un mardi matin d’avril 2007, que je pouvais récolter des milles aériens dans les bacs verts. Je me suis donc joint à la confrérie des glaneurs urbains qui, en 2009, a vu croître de façon table le nombre des glaneuses de l’Âge dit d’or.  Elles, ces nouvelles collègues de rondes de bacs du mardi matin, fouillent visiblement dans les matières recyclables pour arrondir leurs fins de mois. Peut-être pour manger. Moi, je me livre à l’exercice pour m’emvoler vers des «vues» de grands espaces et d’horizons infinis. Quelle chance, tout de même!

Dans mes rondes de bacs, j’ai récolté beaucoup plus que des milles aériens. J’ai exercé ma sensibilité à  déceler  l’humanité au-delà de l’anonymat des villes. Cette autre vision des «vues» est également inscrite dans mon ADN. C’est un legs de ma mère Thérèse, Montréalaise de naissance et infirmière-travailleuse sociale avant de devenir, en prenant mari, une Matapédienne d’adoption.  C’est en visitant mes grands-parents, à Ville-Émard, que j’ai entendu parler l’anglais pour la première fois, aperçu mes premiers Noirs, eu mes premiers contacts avec des Chinois et des Italiens, et aussi, découvert les gratte-ciel, l’art contemporain – Pellan – et constaté que l’on pouvait se déplacer en commun. Depuis, je vois aussi les villes comme des espaces ouverts sur l’infini.

***

Avant de m’établir à Montréal, à 20 ans, j’adorais ces paroles de la chanson les Gens d’en Bas, de Gilles Vigneault. «On est d’en Haut ou bien d’en Bas, quand on voyage on apprend ça.». Je sais maintenant que «Je suis d’en Haut et d’en Bas». En voyageant j’ai appris ça… Et c’est sans doute pourquoi j’ai décidé d’utiliser le billet d’avion de mes rondes de bas verts pour aller passer le cap de l’an 2010 à St-John’s, Terre-Neuve. C’est que là, on peut à la fois vivre sa ruralité et son urbanité, avec, en prime, la compagnie d’un chien urbain.

Vue de Saint-Jean de Terre-Neuve depuis Signal Hill. Août 2009. Photo : Jacinthe Tremblay

27 décembre 2009.

1er novembre 2009 – Odeurs berlinoises à Montréal

Premier jour du mois des morts dans le calendrier catholique. Jour d’élections municipales à Montréal. Jour de longue marche avec Saku, entre Outremont et Rosemont. Jour au petit matin gris, enveloppé d’une léger brouillard qui, dans le climat de la métropole du Québec, annonce le soleil. Ou était-ce du smog? Peut-être. Sans doute même que c’était plus la polllution de l’air qui m’a soudain fait penser que : «Aujourd’hui, à Montréal, quelque chose va mourir. ». L’air malsain, oui, c’est ça qui m’a inspiré cette réflexion. Et les odeurs âcres, mélange de gaz d’échappement des autos et de pisse sous le viaduc de la rue Saint-Laurent, entre Van Horne et Beaubien, qui m’ont transporté dans les zones bétonnées des vieux quartiers ouvriers des villes européennes. Et à la sortie du viaduc, j’ai eu la preuve que j’avais senti juste. J’ai vu le Mur. «Nous sommes à Berlin Saku!». Mon chien urbain aussi avait flairé l’ailleurs, à quelques pas de marche de notre quartier. «Berlin?». «Oui, Saku. Berlin.»

Sortie du viaduc St-Laurent/Van Horne, vu de l'EST.

À Montréal, la rue Saint-Laurent marque le départ de l’est et de l’ouest dans les numéros civiques, comme dans la culture urbaine. C’est la frontière psychologique qui marque le passage des anciens quartiers ouvriers montréalais à une certaine richesse outremontoise puis à la richesse certaine des Westmount and Town of Mount-Royal de l’île. Non pas que ces royaumes de l’ouest soient exempts de misère. Mais la misère y est tout autre. Elle a le ventre et le porte-feuille garnis. Et du beau linge.

Le mur bétonné du viaduc Van Horne, sur Saint-Laurent, quand on le voit depuis l’Est, offre au regard quelques grifonnages monochromes et de vieilles affiches illisiblles, comme la face Est du Mur jadis. Et ces odeurs âcres qui prennent à la gorge. Et cette impression de délâbrement – d’abandon même de la part des pouvoirs publics – des infrastructures des anciens quartiers ouvriers des vieilles villes européennes.

Et j’ai dit tout haut ce que je méditais en silence depuis mon entrée sous le tunnel. «Aujourd’hui, Saku, quelque chose va mourir»

***

Et puis, je me suis prise à observer le mur bétonné du viaduc Van Horne, rue Saint-Laurent, quand on l’examine depuis l’Ouest. Malgré le brouillard – ou plutôt le smog et l’air malsain -, il affichait ce matin-là ses couleurs douces captant l’arrivée lente du soleil.

En regardant ces graffitis joyeux sur la face du viaduc donnant vers l’Est – donc déposés depuis l’Ouest – quelques mots se sont ajoutés à mon intuition matinale, en ce premier jour du mois des morts dans le calendrier catholique et en ce jour des élections municipales à Montréal. «Aujourd’hui, Saku, quelque chose va mourir. Et quelque chose va naître», que j’ai dit à mon chien urbain. «Quoi?», m’a-t-il demandé avec insistance en me toisant directement dans les yeux. «Je n’en ai aucune espèce d’idée», que je lui ai répondu avant de poursuivre notre marche en direction Est, vers Rosemont.

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PS. Pendant mon passage au Devoir, j’ai commis un article sur le segment du Mur de Berlin offert à la Ville de Montréal à l’occasion de son 350e anniversaire, en 1992. Il était accompagné par cette photo, signée Jacques Grenier.

Pan entier du Mur de Berlin, Centre de commerce mondial, Montréal. Photo : Jacques Grenier, du Devoir.

Et voici le texte publié sous ma signature le 26 juillet 2008.

Tout un pan de l’histoire dans un pan de mur

Tremblay, Jacinthe

Pour son 350e anniversaire en 1992, Montréal a hérité du plus gros et du plus intéressant segment du mur de Berlin, dont les fragments ont été offerts aux villes du monde par la capitale allemande réunifiée. Même si son observation dure seulement quelques minutes, la puissance d’évocation de ce segment, elle, reste dans la mémoire longtemps.

De l’allure de l’objet lui-même, il vaut mieux écrire peu de chose. Ce serait l’équivalent de révéler le punch d’un court métrage. Disons simplement que cette visite nous entraîne à la frontière entre Berlin-Ouest et Berlin-Est d’avant le 9 novembre 1989 et que c’est en faisant le tour du mastodonte lentement que l’on peut parvenir à l’imaginer.

Pour ce retour «vers un futur» qu’on ne souhaite à personne, il faut se rendre rue Saint-Pierre, dans le Vieux-Montréal, et franchir la porte d’entrée du Centre de commerce mondial située en haut de la pente entre Saint-Antoine et Saint-Jacques. Ce qui se dresse devant nous n’est pas le résultat d’un coup de colère d’un gang de rue mais l’oeuvre de graffitistes ouest-allemands.

Qu’est-ce que le mur de Berlin?

Il est de tradition, lors des anniversaires importants d’une ville, que ses homologues lui offrent des cadeaux. Il s’agit généralement de toiles ou d’oeuvres d’art public créées par des artistes éminents de la communauté donatrice. Généralement, la ville héritière connaît à l’avance le contenu du don et ce qu’elle aura à faire pour le mettre en valeur. Ça ne s’est pas passé comme ça avec Berlin.

En 1991, le premier magistrat de Berlin en a fait un cadeau-surprise à la Ville de Montréal. Le présent lui-même est arrivé à destination comme une tonne de brique, plus précisément comme deux tonnes et demie métriques de béton armé livrées par bateau dans un énorme caisson. La métropole pouvait ainsi se targuer de supplanter sa rivale canadienne au chapitre de la taille du don: la Ville de Toronto en a reçu un modeste morceau qu’elle a enrobé dans une oeuvre d’art public bien en vue au Nathan Phillip Square, devant son hôtel de ville. À Montréal, il a fallu trois ans pour trouver un endroit pour mettre en valeur la «chose». C’est que plusieurs questions artistico-politico-logistiques devaient d’abord être résolues.

Le mur de Berlin est-il une oeuvre d’art? Non. Les musées montréalais n’en ont pas voulu. Est-il un artefact historique? Oui, et de classe mondiale pour un établissement consacré à la mémoire des civilisations. Ottawa et Québec en ont un, pas Montréal. Le Mur est-il une oeuvre d’art public? Il en a toutes les apparences. La piste visant à l’exposer dehors a donc été explorée avant d’être rejetée pour trois raisons. Sans enrobage protecteur, le fragment du Mur risquait de devenir la proie des vandales et des collectionneurs. Enveloppé d’un matériau transparent, il perdait en impact. Dernière considération et non la moindre: il était périlleux de le localiser sans soulever de controverse dans la ville. Imaginez le mur de Berlin dans l’axe Nord-Sud, sur le boulevard Saint-Laurent, par exemple…

C’est une offre de la Société de promotion du Centre de commerce mondial, en 1994, qui a permis de résoudre la quasi-quadrature du cercle. Le fragment du mur de Berlin serait le bienvenu dans le passage piétonnier des édifices qui occupent le quadrilatère compris entre les rues Saint-Pierre, Saint-Jacques, McGill et Saint-Antoine. Ce lieu lumineux est le prolongement de ce qui était la ruelle longeant les fortifications de Montréal, érigées à compter de 1714. Cet autre mur a été démoli en 1801 afin de relier sans entrave la vieille ville aux nouveaux quartiers de la métropole en plein essor. Ce lieu hautement symbolique a un vilain défaut: il est demeuré pratiquement confidentiel.

«Ce morceau de mur est couteau qui fendait un coeur en deux.» C’est ainsi que débute le touchant poème de l’auteur allemand Fritz Grasshof affiché du côté est du Mur et qui fait partie intégrante du cadeau berlinois. Pour prolonger la visite, prenez-le en note pour le mémoriser. Prenez aussi le temps de lire lentement les panneaux d’interprétation situés du côté République démocratique allemande du Mur. Ils nous apprennent entre autres que 78 personnes – au moins – sont mortes en tentant de le franchir. Prenez le temps d’imaginer 170 kilomètres de cette grisaille où n’apparaissent que des numéros noirs et ocres. Et allez voir de l’autre côté du segment les taches orange, turquoise et bleues lancées sur le béton comme autant d’hymnes à la vie par de jeunes Allemands de l’Ouest qui ont fait du Mur la plus grande murale du monde. À l’Ouest, ces graffitis laissaient déjà présager sa chute. «Ce morceau de béton est message: la liberté d’un peuple est indivisible», conclut le poète Grasshof. À l’Est, autrement, il est aussi tombé avant qu’il ne tombe.

***

À voir en complément: le film La Vie des autres (2007), du réalisateur Florian Henckel von Donnersmonck, Oscar du meilleur film en langue étrangère.

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Saku. le chien-enquêteur, fait un pari et gagne

Désolée, la marche autour de l’ancienne Miron a été reportée, pour cause de tombée et de courses de fin de semaine… Saku et moi avons donc fait le tour des alentours ces derniers-jours.

Mardi, en approchant du chantier de la 9e avenue que nous visitions dans nos deux récents billets, Saku s’est arrêté. Il a longuement regardé la rue remplie de No Parking, l’homme au travail sur la pancarte et la rue au sol recouvert de concassé. Et il a fait cette prédiction : «Les travaux vont reprendre demain». Je lui ai demandé ce qui lui permettait de jouer les devins. «Les élections municipales sont dimanche. Donc, les travaux vont reprendre demain, juste à temps pour que les gens voient une belle rue neuve en allant voter.»

Ce chien urbain ne lit peut-être pas les nouvelles et n’a aucune espèce d’idée de l’ampleur de ce qu’on y apprend ces jours-ci sur l’industrie de la construction et ses amis en hauts et bas lieux mais chose certaine, il a du flair!

Hier, les camions ont commencé à arriver sur la 9e. Voyez ça comme c’est beau!

9e avenue, 4 jours avant le jour J«Je l’avais dit que les travaux reprendraient. Je te le dis, ils seront finis avant dimanche», m’a nargué Saku. «OK, OK. Mais moi je te dis qu’ils ne seront pas tout à fait finis. Tiens, regardes ça»

On reviendra l'an prochain?

On reviendra l'année prochaine?

Ce soir, à deux jours de l’élection municipale donc, j’abdique : Saku, mon chien enquêteur, avait vu juste. Ça bourdonnait de camions et ça sentait le goudron sur la 9e, pas à peu près.

9e3joursélection

Pavage de la 9e : on ne lésine pas sur l'overtime.

Avant d’arriver sur Masson, Saku s’est encore une fois arrêté. Il m’a montré un gros camion. «Tu ne m’avais pas dit que c’était Infrabec qui avait eu ce contrat? C’est pas le même signe et les mêmes couleurs sur ce gros-là. Vert et jaune, c’est pas mal. Et ces grosses lettres là, ça fesse! Mais j’aime mieux quand c’est rouge et blanc, avec la p’tite pizza.»

9esimardbeaudryOn a terminé notre ronde en allant voir dans la ruelle entre la 9e et la 8e. Elle était pleine de décorations d’Halloween l’an dernier. C’est curieux, il n’y a rien du tout cette année. C’est triste.  Comme le temps qu’on annonce pour la journée des élections municipales à Montréal. Mais au moins, on verra de la belle asphalte en allant voter.

Saku, le marcheur-enquêteur, piste un drôle d’animal…

Et puis, ces recherches sur Infrabec, l’entrepreneur des travaux de la 9e avenue, ça avance? m’a demandé Saku hier au départ de notre marche matinale dans le Vieux-Rosemont. T’inquiètes pas Saku, ça avance. Mais j’ai autre chose à faire ces temps-ci que de raconter mes démarches. Mais ça viendra, crains pas. En attendant, je peux te dire que même les grands médias s’intéressent au contracteur des travaux de la 9e avenue! Il y a eu un reportage à Radio-Canada qui parlait de lui. Tu peux le regarder ici.

Saku sait parfois être patient. Nous sommes donc partis pour la marche. Aux abords du chantier de la 9e, nous avons vu qu’Infrabec ne lésinait pas sur le NO PARKING!

Homme au travail : no parking, 9e avenue, Rosemont, 22 octobre 2009. Photo de cellulaire, excusez-là!

Homme au travail : no parking, 9e avenue, Rosemont, 22 octobre 2009. Photo de cellulaire, excusez-là!

Comme nous n’avions pas l’intention de stationner et que nous étions visiblement de la circulation locale, nous avons décidé d’aller observer  l’évolution du chantier. Premiers constats : le pavage est en attente ( de gel, de neige ou de pluie abondante?) et le seul homme au travail est celui de la pancarte. Mais ça avance: les trous béants dans les trottoirs ont été bouchés par du ciment en processus de séchage. Il y a donc de l’espoir pour les riverains. Quoique…

Danger! On n'est jamais trop prudent dans les conseils aux passants.

Danger! On n'est jamais trop prudent dans les conseils aux passants.

Saku, lui, a été attiré par les sacs de détritus qui s’accumulent dans les crevasses entre le futur pavage et le nouveau trottoir. Il ne s’est pas arrêté longtemps à cet endroit. J’en ai conclu qu’il n’y avait rien d’intéressant à se mettre sous la dent. Mais quelques mètres plus tard, il a repris son travail de marcheur-enquêteur et s’est arrêté là.

Oups! Un oubli dans la réfection du trottoir : des camions de béton devront repasser par ici.

Oups! Un oubli dans la réfection du trottoir : des camions de béton devront repasser par ici.

Saku n’était pas au bout de ses observations de la curieuse façon de notre contracteur d’assurer la sécurité des riverains.

J'espère que celui-là a une sortie par la ruelle, a dit Saku

J'espère que celui-là a une sortie par la ruelle, a dit Saku

Notre marche sur le segment de la 9e avenue en «construction» depuis la fin de juillet 2009 – donc depuis trois mois – allait bientôt prendre fin quand Saku a porté à mon attention ce panneau.

Faut-il vraiment indiquer aux automobilistes qu'ils ne peuvent emprunter un sens unique à l'envers pendant des travaux? m'a demandé Saku.

Faut-il vraiment indiquer aux automobilistes qu'ils ne peuvent emprunter un sens unique à l'envers pendant des travaux? m'a demandé Saku.

J’ai récapitulé les conseils de notre contracteur pour Saku :

– il ne faut pas se stationner sur la 9e avenue quand des pépines sont à l’oeuvre et que la rue est en attente de pavage.

–  il est dangereux de marcher sur les trottoirs en attente de séchage

– dans les travaux de voirie, des oublis sont toujours possibles. Ça confirme le proverbe : Cent fois sur le métier, remettons notre ouvrage, en plus de faire rouler l’économie.

Et, surtout, surtout :

– Il est interdit d’emprunter un sens unique à contre-sens pendant des travaux parce que  la rue est barrée!

***

Nous avons poursuivi notre marche lentement. Saku et moi étions songeurs. En entrant à la maison, mon chien urbain m’a fait cette remarque. «S’il n’était pas mort, je te dirais que ce n’est pas Infrabec qui fait ces travaux mais que c’est Marcel Béliveau qui prépare une nouvelle série des Insolences d’une caméra. Qu’en dis-tu?»

»Saku, un bon enquêteur ne doit écarter aucune piste. Mais dans ce cas, je ne crois pas qu’on prépare une série humorisitique à Montréal ces jours-ci. Il vaut peut-être mieux en rire, tu as raison. Mais comme le disait la défunte revue Croc : c’est pas parce qu’on rit que c’est drôle», que je lui ai répondu.

J’ai ensuite fait une promesse à Saku. «Demain, nous irons marcher autour de l’ancienne Carrière Miron. Et tu comprendras un petit peu plus que ce que tu vois depuis notre retour de Terre-Neuve quand nous nous promenons sur le 9e avenue et dans les alentours a des conséquences étonnantes qui ne sont pas drôles du tout!»