À Brun0*

Autoportrait soleil levant et Penton-le-renard. Joe Batt's Arm, Fogo Island, Terre-Neuve. Janvier 2010. Photo : Jacinthe Tremblay
Quel temps fait-il à Terre-Neuve? Cette question est revenue sans cesse dans mes échanges de courriel ou téléphoniques avec des proches de Montréal ou d’ailleurs pendant mon récent séjour dans ma Neuve Terre. «C’est l’été!», a rigolé le matin de mon départ de Fogo Island, le 7 janvier 2010, un parmi les milliers de Penton de Joe Batt’s Arm, sur l’île de Fogo. Il exagérait bien évidemment côté météo, tout comme je gonfle indûment le nombre de Penton de Joe Batt’s, une communauté qui compte quelques centaines d’âmes, au plus. N’empêche, le temps qu’il faisait là, ici, comme ailleurs, était, je dirais, curieux. Pas de neige en janvier, c’était du jamais vu pour les vieux de la place. Quant aux Penton, ils sont très nombreux à Joe Batt’s Arm. Et, ce qui est le plus étonnant, ils ne sont pas tous frères et soeurs, ni même cousins et cousines.
Quand j’ai conversé avec le Penton qui constatait, ce matin là, que l’hiver est à l »envers, je revenais d’une ballade de prospection de caribous amorcée aux aurores, puisque c’est aux aurores que, les jours précédents, On (j’ai appris à l’école primaire que On, c’est à peu près tout le monde, une sorte de Nous qui exclue la personne qui parle) en avait aperçu 20, 50 et même jusqu’à 200 dans les environs de l’aire de jeux d’enfants, au bout d’une voie publique nommée, je dirais, Penton. Léo (Penton) allait même jusqu’à dire que si je n’en voyais aucun lors d’une marche aux aurores, j’en verrais certainement le lendemain. Était-ce un pieux mensonge pour m’inciter à rester plus longtemps sur l’île? Ce serait de bonne guerre. Toujours est-il que le 7 janvier 2010, aux aurores, aucun caribou ne s’est montré le bout du museau au bout de l’artère sans doute nommée Penton.
Une faune différente m’attendait toutefois sur la route. M’attendait-il au fait, ce renard quasi domestique? Chose certaine, Penton – pourquoi pas? – m’épiait depuis plusieurs minutes quand il s’est rapproché puis a fait quelques pas devant moi, révélant ainsi sa présence et amorçant, du même coup, un petit jeu de «devine où je suis» auquel il s’est livré pendant une bonne trentaine de minutes. Dès que ce Penton a eu la certitude que j’étais consciente de son existence, il a tôt fait de disparaître derrière un muret de pierre. Juste avant de se soustraire à mon regard, il s’est arrêté quelques instants et il m’a regardé à la manière de Saku lorsqu’il entre dans sa zone de fugue. J’ai alors cru ne plus jamais le revoir. Erreur, il se préparait à ressusciter une centaine de mètres plus loin, bien en vu sous un lampadaire. Il a alors fait mine de m’attendre, comme s’il était disposé à poursuivre la marche à mes côtés. Au pied? Comme un bon chien? Nenni. Quand je suis arrivée à quelques mètres de lui, il s’est rapidement mais tout en douceur dirigé vers des ombres protectrices. J’ai eu le temps d’aller au bout de la route constater l’absence de caribou(s), fumer une cigarette en regardant la lune et les étoiles se refléter dans l’eau calme de la baie de Joe Batt’s Arm puis de prendre le chemin du retour vers la maison avant de voir Penton-le-renard faire à nouveau irruption, cette fois, à moins de deux mètres de moi. Il s’est alors mis en position couché-prêt-pour-le-jeu que prend parfois Saku quand il voit un chien ami entrer dans l’enclos canin du parc Lafond, à Rosemont. Je n’ai même pas osé penser que je pourrais m’approcher de lui au point de le cajoler.
Je suis tout simplement demeurée immobile, en silence. Et c’est alors qu’il m’a honoré d’un long moment de mouvements circulaires, là, sous mes yeux et à mes pieds. Je me suis imaginée qu’à sa manière, il dansait pour moi. Et j’ai aussi espéré qu’il m’accompagnerait pour le reste de ma route. Je me trompais, bien sûr. Un renard, même s’il a des allures de chien, demeure, fondamentalement, une bête sauvage assoiffée, par dessus tout, de liberté.
Il a ensuite poussé la confiance et la complicité jusqu’à me laisser le prendre en photo. Même le clic ne l’a pas fait fuir. Il savait sans doute déjà que les images de lui que je pourrais glaner seraient, au mieux, impressionnistes. Il pourrait donc préserver un certain mystère sur son identité tout en me permettant de faire la preuve de notre rencontre.

Penton-le-renard, Joe Batt's Arm, Fogo Island, Terre-Neuve. Photo : Jacinthe Tremblay
Quelle serait la morale de cette histoire vécue, selon Jean de la Fontaine, lui qui en a tant puisé chez les renards, justement? Je n’ai pas cherché à le savoir. J’ai trouvé la mienne.
Certains êtres humains sont, comme les renards, impossibles à domestiquer. Au sens de perdre leur liberté pour se plier aux diktats, et même aux désirs légitimes de rapprochement, d’autres êtres humains. Ils se rapprochent pour autant que l’on respecte ce qu’ils sont. Au risque même d’en crever. De faim et de solitude. C’est leur choix. Rien à faire. Sauf apprécier les moments rares pendant lesquels ils dansent pour nous. Et même ceux pendant lesquels, faisant mine de fuir, ils se préparent à ressurgir encore plus près. Si nous gardons le silence et demeurons immobiles. Alors là, ils danseront peut-être encore. Et se laisseront prendre en photo. Pour laisser une preuve que notre récit n’est pas une fable, mais la trace de beaux moments.

Penton-le-renard dansant soleil levant, Joe Batt's Arm, Fogo Island, Terre-Neuve. Photo : Jacinthe Tremblay
Écrit en partie à Terre-Neuve et après mon retour à Montréal, janvier 2010.
* J’ai commencé l’écriture de ce texte avant d’apprendre le décès de Bruno Roy. Vous pourrez en apprendre plus sur le personnage public qu’était Bruno en consultant le lien précédent. De toutes les morts qui ne cessent de défiler à la Une des médias depuis quelques semaines (Falardeau, Carle, etc.), c’est celle de Bruno qui m’a le plus touchée. Je me permets le Bruno parce qu’au fil de plusieurs années de rencontres formelles et informelles de co-membership au conseil d’administration de Copibec (la Société québécoise des droits de reprographie), Bruno était devenu mon ami. De combat pour le respect du droit d’auteur. Mais surtout d’affection. De ces gros et si bienfaisants HUGS, sans équivoque, entre un homme et une femme.
Notre dernier HUG, c’était pendant le Moulin à paroles, sur les Plaines d’Abraham, en septembre 2009. Écrire, comme une écrivaine. Il visitait ce petit site quant je l’invitais à le faire. Et il m’avait dit aimer que peu importe ce que j’écrivais, y compris des articles pour La Presse AFFAIRES, il y avait toujours un côté social dans mes articles. Nous avons rigolé de mon passage de journaliste à la UNE à blogueuse. Et il m’avait alors encouragé à poursuivre mes récits de voyage et m’avait même suggéré un éditeur. Après notre rencontre au Moulin, je lui avais envoyé un courriel :
Bonjour Bruno,
je t’ai revu hier avec un immense plaisir. J’espère qu’il y aura d’autres occasions de rencontres. Ou nous les provoquerons. Je te renvoie le lien avec mon petit blogue. https://neuveterre09.wordpress.com. Tu peux aussi y accéder par, plus simplement – www.jacinthetremblay.com
J’ai écrit trois textes sur le Moulin. Un avant et deux depuis.
Et par la magie des nuages de mots-clés, tu pourras aussi aller te balader à Terre-Neuve… Ils font partie de ce que vois de plus en plus comme des segments de carnets de voyage que j’y publie depuis janvier dernier, entre des histoires de chien urbain et de récoltes de milles aériens.
Au plaisir
Jacinthe
—
Le texte que je portais particulièrement à son attention était celui-ci. Son titre est : « Au refus global, nous opposons la responsabilité entière».
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Quelques heures plus tard, le le 15 septembre 2009, j’ai reçu ce courriel.
Jacinthe,
Viens de lire tes commentaires liés à l’événement qui est devenu un avènement de la parole. Je partage entièrement ton point de vue.
Bravo.
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C’est, et ce sera, ma dernière rencontre avec Bruno. Mais quand j’ai appris sa mort, j’ai imaginé qu’il avait glissé ailleurs, doucement, pendant que je regardais la lune et les étoiles, à Joe Batt’s Arm, Fogo Island, Terre-Neuve, le 7 janvier 2010. Et que j’écrivais déjà, dans ma tête, ce segment de carnet de voyages qye fut ma rencontre avec Penton-le renard, la bête sauvage délicieuse qui a dansé pour moi, cette nuit de son grand départ.
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