Le temps qu’il fait : clin d’oeil du 14 juillet aux Français de Terre-Neuve

Le temps qu’il fait à Montréal en cet été 2009 est… étrange. En quelques heures, on se promène entre la canicule, le froid automnal, la pluie tropicale et le vent doux de mai. L’obsession météo est à son comble. Ici, comme ailleurs. Pour la nième fois, la radio annonce le report du lancement de la navette qui doit propulser l’astronaute québécois Julie Payette dans l’espace. Les fraises ne goûtent rien. Des pans entiers de routes et d’autoroutes se sont affaissés le week-end dernier. On ne sait plus quel vêtement porter pour toute sortie qui dépasse cinq minutes.  Les caprices de la nature sont devenus LE sujet qui amorce toutes les conversations dans l’enclos canin du Parc Lafond, à Rosemont. L’obsession météo est à son comble (bis).

Et pourtant, il se trouve quelques personnes pour s’inquiéter de mon prochain départ vers Terre-Neuve. «Tu vas à Terre-Neuve!  Quelle drôle d’idée d’aller y passer ses vacances! Il fait un temps de chien là-bas!». Bref, on redoute pour moi les pires conditions météo,  comme… la pluie abondante et le froid automnal. Sans nier les dangers qui me guettent, je prends ces mises en garde avec un grain de sel. Avec un grain de grêle même. Car s’il y une chose dont je me fous royalement,  c’est bien l’étrangeté de la météo terre-neuvienne.  Ou plutôt non. J’aime bien le suspense du temps qu’il fera sur le Rocher pendant mon prochain séjour. Au fil de mes accostages sur cette île immense, j’ai même appris à aimer ses changements brusques du mercure. Je me rappelle avec le sourire de  l’apparition d’un nuage de brouillard dans une foule pendant un concert  en plein-air, il y a quelques années. Magique! D’autant plus que cette intrusion de Dame Nature entre la scène et les spectateurs a provoqué un formidable éclat de rire collectif. Magique (bis)!

Magique, parce que ces gens réunis dans un parc de St-Jean venaient de donner là une leçon de vie que nous devons à tout prix intégrer : le temps qu’il fait, il faut faire avec. J’entends ici des voix s’élever contre cette approche qui fait abstraction du rôle des humains dans les bouleversements actuels du climat.  Je n’ignore pas cette responsabilité. Je crois simplement que l’obsession du climat est une perte d’énergie inutile, voire même dangereuse. Au quotidien – et tout en posant tous les petits gestes indispensable pour stopper le réchauffement de la planète -, il faut composer avec le temps qu’il fait.

C’est ce à quoi je pensais en écoutant les membres de l’équipe matinale de Radio-Canada pester contre la température en prenant mon café en ce matin du 14 juillet 2009 – jour de la fête des Français. Et je me suis rappelée les mutations brusques du paysage aperçu du balcon de mon gîte de Cap St-Georges, dans  Péninsule de Port-au-Port, à Terre-Neuve, le printemps dernier. Cette région du Rocher est habitée par des descendants de Français de France, de Français des îles de Saint-Pierre-et-Miquelon, ainsi que d’Acadiens. Cette bande de terre qui baigne dans le Golfe Saint-Laurent est désignée sur les cartes touristiques comme la French Shore. On y joue des airs d’accordéon et de violon d’une parenté troublante avec ceux du folklore québécois. C’est pour cette culture que j’étais là le printemps dernier.

À Cap St-Georges, Péninsule de Port-au-Port, Terre-Neuve, le 11 avril 2009

À Cap St-Georges, Péninsule de Port-au-Port, Terre-Neuve, le 11 avril 2009

Mark Cormier, joueur de violon, conteur et directeur d’une des écoles françaises de la région, m’a dit le 11 avril que cette péninsule était «Le pays du Bon Dieu». Ce jour-là,  même les agnostiques auraient pu le croire.

Le lendemain par contre, le même environnement avait plutôt des allures de Terre de Caïn. À la même heure que la veille, et sensiblement du même point, voici de quoi avait l’air le Cap St-Georges.

Le 12 avril 2009, le Pays du bon Dieu était devenu La Terre de Caïn

Le 12 avril 2009, le Pays du bon Dieu était devenu La Terre de Caïn

Et vous savez quoi? Quand je suis descendue pour prendre mon café matinal,  Jenny Fenwick – l’hôte du Bed and Breakfast où j’habitais –  a commenté le temps qu’il faisait ce matin-là dans un grand éclat de rire.

Le chien urbain deviendra marin

Mon chien Saku a fait une récidive  il y a quelques semaines. Obnubilé par les odeurs de chats, de mouffettes et de ratons-laveurs, il s’est poussé à la vitesse de l’éclair par une minuscule  brèche de la clôture de l’enclos canin d’Outremont pour se livrer, avec force jappements, à une partie de chasse dans le clos de voirie de cet arrondissement montréalais. Son escapade a duré huit heures. Il s’est finalement précipité dans les bras d’une dame qui s’est écriée «Ah, le beau petit chien!» alors qu’il était encerclé par six agents de la Sécurité civile d’Outrement, terrorisés. C’est qu’un peu plus tôt, trois d’entre eux avaient en vain tenté de l’attraper. Saku avait alors toutes les apparences de son ancêtre, exactement comme lors de ses frasques dans les sacs verts, racontées dans le billet  Le chien urbain et les sacs verts.

Combat de loups pour de la nourriture.

Combat de loups pour de la nourriture.

À l’instant même où j’apprivoisais l’idée que mon infidèle compagnon se dirigeait tout droit vers une condamnation à la peine capitale lors d’un procès sans jury expédié en moins de deux par  l’escouade canine de la Ville de Montréal, j’ai reçu un appel m’annonçant avec joie que Saku  m’attendait avec angoisse dans un véhicule de la Sécurité civile d’Outremont.

Quand je suis allée le récupérer, il était sale,  épuisé et heureux de me revoir. Je lui ai fait savoir  qu’il avait dépassé les bornes en l’attachant aux pattes de la table de cuisine et en l’ignorant quelques heures. L’humiliation totale pour un chien.  J’ai pris la résolution ferme que désormais,  Saku se vouerait totalement aux diktats et aux volontés de sa maîtresse.

Depuis, son comportement est exemplaire. Il est devenu un chien. Donc, un fidèle compagnon.

***

Les ballades avec Saku sont maintenant de purs moments d’harmonie. Il guette mes mouvements à chque coin de rue. Il reste immobile quand je contemple le paysage ou que j’échange avec des connaissances lors de nos marches dans le Vieux-Rosemont. Il reste même presque de marbre quand il aperçoit ou flaire un chat et un écureuil. Saku est devenu un chien urbain contemplatif.

Devant ce grand bond qualitatif dans sa route vers la perfection, j’ai décidé de l’associer à mon séjour de reportage à Terre-Neuve, dans quelques semaines. Après tout, il est en grande partie responsable du démarrage du projet Cap vers 25 000 milles…  au printemps 2007. Si je n’avais pas eu ce chien, jamais je n’aurais remarqué que des centaines – des milliers – de ces précieux milles pouvaient être accumulés en les récoltant dans les bacs de recyclage. Saku m’a  accompagné dans toutes mes rondes, en attendant patiemment à mes côtés. Il méritait donc d’être du voyage. Et il le sera.

***

Pendant notre périple sur le Rocher, Saku sera à la fois un chien urbain – à St-John’s -, un chien riverain, alors que nous marcherons ensemble sur le East Coast Travail, dans la péninsule d’Avalon… et un chien marin, pendant la portion du périple où nous vivrons en bord de mer, dans l’Allée des icebergs. Il pourra donc s’adonner à un autre de ses sports favoris, pratiqué à ce jour dans quelques points d’eau autour de l’île de Montréal et dans ma Vallée de la Matapédia natale.

Saku à la nage au Cap St-Jacques, à Montréal, été 2007

Saku à la nage au Cap St-Jacques, à Montréal, été 2007

Il pourra alors se livrer à la chasse aux phoques ou aux baleines, en contravention totale aux lois internationales. Il pourra aussi tenter d’attraper quelques morues – ce qui serait un exploit digne de mention, compte-tenu de l’épuisement de cette ressource.

Et s’il fait une fugue au Labrador ou même en Europe, par la voie des eaux, la gentille dame dans les bras de laquelle il se précipitera en accostant a déjà mon autorisation pour  l’adopter. Elle héritera alors d’un chien urbain –  presque – parfait.

Ode to Newfoundland sur Signal Hill : promesse tenue, en partie

1er juillet. It’s Canada Day. J’avais promis d’être sur Signal Hill pour entonner l’Ode à Terre-Neuve. Je n’y suis pas. J’y serai le 1er août. Je raconterai. Mais en ce 1er juillet, vous pouvez être sur Signal Hill, comme si vous y étiez en ce 1er juillet. Mais pas vraiment. J’essaierai de raconter avant le 1er août. Mais d’ici là, je vous invite à cliquer ici, pour entendre The Ode to Newfoundland, depuis Signal Hill. Et, quand ce vidéo de You Tube tirera à sa fin, restez en ligne. Vous découvrirez… C’est… Buddy was is name!!!!!!

Death Valley, Labrador City, deux déserts pour un oiseau

Jacques-Cartier, en 1534, a décrit le Labrador comme la Terre donnée par Dieu à Caïn. Je suis depuis trois jours dans cet univers nordique, peuplé d’épinettes rachitiques, de lacs et de montagnes. Des ours noirs, des caribous, des renards, des lièvres et des orignaux s’y baladent en grand nombre. Je n’en ai vu aucun. Juste un chien triomphant se prenant pour un loup à l’arrière d’un énorme camion.

De la fenêtre de ma chambre du Two Seasons, j’aperçois des bâtiments industriels, d’énormes pylônes électriques, des grues, des pneus gigantesques et… un Mc Donald. Je suis à Labrador City, cette ville qui, comme l’écrivait Michel Rivard dans sa chanson Shefferville, le dernier train, a été «inventée par grosse compagnie, en plein froid, en plein bois et en plein paradis» pour exploiter – dans tous les sens du terme – un des plus importants gisements de fer de la planète, dans les années 1960.

50 ans plus tard, quelque 8 000 personnes y vivent, tous, directement ou indirectement, dépendant pour leur gagne-pain des activités de la minière jadis appelé Iron Ore Company et propriété américaine, achetée il y a quelques années par la britannique Rio Tinto. Ce transfert de patrons n’a pas changé le bruit ambiant de la ville : un ronron incessant de la transformation de roches  en fine poudre argentée qui file ensuite en direction  Sud en train.

«Au Labrador, nous vivons en blanc, en noir et en gris. Pour expliquer les couleurs éclatantes qui vibrent en moi, je dois les peindre dans mes tableaux», m’a expliqué quelques heures après mon arrivée Marie-Josée Bois, une Montréalaise de naissance établie ici depuis bientôt 30 ans.  L’isolement bien réel de ces hommes et de ces femmes du reste de la planète, ils en ont fait leur ami, leur allié. Ils s’abreuvent du silence des lieux, interrompus, sitôt sorti des zones industrielles et résidentielles, uniquement par les bruits du vent et des animaux.

Dès qu’on quitte ses zones urbanisées, le Labrador a des airs de Vallée de la mort. Ici aussi, les couleurs viennent des rochers et du ciel. «En une courte marche dans un sentier, on peut ramasser des pierres qui font toutes les couleurs de l’arc-en-ciel», m’a dit un autre artiste rencontré ici, Hugo Obernia. La nuit, le ciel s’enflamme souvent de rose, de vert et de bleu. Nous sommes au pays des aurores boréales. De ces merveilles comme de la faune sauvage, je n’ai rien vu encore. Et, comme dans la Vallée de la mort, des pilotes d’avions chasseurs F-18 sont venus y tester leurs engins guerriers. Loin des regards et des oreilles des Blancs, toutefois. Mais juste au dessus des têtes des Innus. L’affront était trop grand : les chasseurs ont été chassés. Et peut-être sont-ils parmi les jets qui s’amusent à terrifier les touristes de Death Valley!

Mais c’est la découverte d’une bien curieuse parenté entre ces déserts deux déserts, l’un de neige et l’autre de sable, c’est un oiseau.  Le corbeau règne ici en maître, tout comme il occupe les cieux de la Vallée de la mort. Ils sont tellement gros, ici comme là-bas, qu’on dirait des poules.

Le corbeau, maître des déserts de neige et de sable

Le corbeau, maître des déserts de neige et de sable

Oiseaux de malheur les grands oiseaux noirs? Juste dans les légendes urbaines. Les corbeaux survivent et prolifèrent dans les zones les plus arides et inhospitalières. Les plus inspirantes aussi, pour qui cherche le silence et la sérénité des horizons infinis. J’adore ces lieux.

Il ne faut pas avoir peur des corbeaux, bien au contraire. «Des des légendes autochtones racontent que le corbeau a créé la lumière, le feu et l’eau. Le corbeau symbolise l’intelligence. C’est un animal sacré pour plusieurs cultures. C’est le gardien de la magie , des connaissances ésotériques , du savoir millénaire. Il nous apprend à vaincre nos peurs de l’inconnu aussi bien que les craintes que nous imaginons dans le fond de notre conscience. C’est le guide qui nous transporte directement au monde des esprits pour atteindre rapidement la conscience.», peut-on lire dans les pages consacrées au chamanisme amérindien du site Internet chemainsdelumière.com. tm.

Je ne suis pas prête à attribuer toutes ces vertus aux corbeaux mais je nous reconnais des goûts semblables en matière de paysages.

Labrador City, 3 mai 2009.