Trahison, infidélité, cruauté? Choississez l’insulte. Vous ne trouverez jamais pire que celles lancées dans le dernier regard de Saku avant mon départ, hier, pour St.John’s. Mon chien urbain, quelquefois aérien, a bien compris au cours des derniers jours que sa maîtresse prendrait le large. Sans lui. Que des vêtements et des appareils électroniques dans mes bagages, constatait-il. Soupçonnait-il, ce qui ne m’étonnerait pas, que j’irais en plus partager ma vie pour quelques jours avec un chat? Qu’il connaît en plus, sans l’avoir jamais vu?
C’est que l’été dernier, Saku et Grostaski* ont pendant deux semaines joué à chien et chat. Lui, à l’étage, et lui, au rez-de-chaussée d’une petite maison avec vue dans le quartier The Battery, à St-Jean de Terre-Neuve. Pendant leur cohabitation, Saku et Grostaski n’ont jamais été en présence l’un de l’autre. Mais Dieu qu’ils épiaient, de tous leurs sens, tous leurs faits et gestes.
Cette fois, Saku est demeuré à ma résidence de Rosemont. Grotaski, quant à lui, est assigné à résidence dans la maison de ses maître, pour cause d’infection urinaire qui ne peut se vaincre que par la dégustation de deux pilules par jour, matin et soir. Or, comme la durée de ses rondes de matou dans les recoins de The Battery sont imprévisibles, je résiste fermement à ses miaulements lancinants en direction de la porte de la terrasse. Monsieur reste donc avec moi et ses chants, d’abord stridents et revendicateurs se transforment, par lassitude peut-être, en de puissants ronronnements, quelques frôlements bien sentis de sa maîtresse d’occasion et une descente au rez-de-chaussée, pour aller se blotir dans le lit de ses vrais maîtres.
* Grostaski?
En fait, ce n’est peut-être pas le nom de mon protégé. Groslaski? Grostoski? Grotovski? Toutes ces options sont possibles. Chose certaine, il y a le son gros et quelque chose comme un jeu de mot avec Grotowski.
J’ai décidé qu’il s’appelait Grostavski, comme dans – je m’en excuse – Gros tas – v (comme dans le w du metteur en scène russe ) et ski, comme dans le sport. De toute manière, il ne répond qu’aux appels des croquettes. Et il s’appelerait Zorro, Rembrant ou Mickey Mouse, je l’aimerais bien quand même.