Recette urbaine 2009


Lors de mes courses des derniers jours en prévision de Noël, j’ai constaté que le cadeau «fait maison» était très tendance. Je ne compte plus le nombre de pots de verre destinés à accueillir des confitures aux alcools exotiques; des pâtés de cailles, de faisans et autres oiseaux singuliers en attente de traitement par des caissières. Les suggestions de délices «faits maison» – vite fait, il va sans dire – pullulent dans toutes les émissions de service.

Ayant moi-même succombé à cette tendance lourde, j’ai donc cherché un mets vraiment original à présenter à mes complices de Réveillon. Et j’ai trouvé ceci : ULTRA tendance. IMPOSSIBLE DE TROUVER PLUS LOCAL ET RESPONSABLE   : la bestiole à la base de cette recette se retrouve en abondance dans les villes. Elle vient d’ailleurs régulièrement narguer Saku sur mon balcon. Comme rien n’est parfait, sachez toutefois qu’il est illégal de la chasser en vertu des lois canadiennes. Si vous ne craignez pas les foudres des agents de conservation de la faune, osez donc ce mets pour terminer en beauté l’année 2009.

ECUREUIL AU VIN BLANC

2 à 4 écureuils

1 tasse de consommé

1 tasse de vin blanc

1 oignon moyen émincé

1/4 de c. à thé de romarin

1 c. à soupe de persil émincé

1 c. à thé de sel

1/4 de c. à thé de poivre

2 oeufs battus

1 tasse de farine de maïs

1/4 de livre de beurre

1 gousse d’ail

1- Porter à ébullition le consommé, le vin blanc, l’oignon, le romarin, le persil, le sel et le poivre.

2- Couper les écureuils en portions individuelles et les plonger dans le liquide bouillant. Couvrir et laisser mijoter pendant 10 minutes. Retirer les morceaux d’écureuil et laisser mijoter le bouillon pendant 30 minutes.

3- Rouler les morceaux d’écureuil dans l’oeuf battu et ensuite dans la farine de maïs. Laisser reposer dix minutes et recommencer l’opération, dans les oeufs et ensuite dans la farine de maïs.

4- Fendre la gousse d’ail en deux et la faire dorer dans le beurre. La retirer et ensuite faire dorer les morceaux d’écureuil dans le beurre à l’ail, à feu lent, de 20 à 30 minutes ou jusqu’à ce que les écureuils soient tendres.

5- Pour faire la sauce au jus de cuisson, ajouter 2/3 à 1 tasse du consommé au mélange de viande. Remuer à feu lent jusqu’à ce que le tout épaississe légèrement.

Recette dénichée dans la première édition de l’Encyclopédie de la cuisine canadienne, Jehane Benoit, 1963.

***

Jehane Benoit.

Quand les organisateurs du Moulin à paroles ont annoncé qu’ils avaient retenu un texte de Jehane Benoit dans la liste des oeuvres qui seraient lues lors de cet événement, plusieurs commentateurs ont tourné ce choix en dérision.  C’était bien mal connaître l’apport de cette femme d’exception à l’ouverture du Québec sur le monde. des saveurs et plus encore. Dans l’extrait de son oeuvre lu pendant cet événement, elle offrait aux habitants de la basse côte nord du Québec une recette de loup marin – phoque – destinée à suppléer à la baisse drastique des stocks de poisson. Le mets pouvait être préparé avec quelques légumes cultivables dans cette région nordique aux étés très courts.

La première édition de son Encyclopédie, en 1963,  a fait le bonheur de milliers de femmes qui découvraient de nouvelles façons d’apprêter les ingrédients les plus simples et surtout, les principes de l’art culinaire.  Je me rappelle encore l’engouement créé par sa diffusion à l’épicerie de Dominique Leblanc, à Sayabec, où j’accompagnais ma mère. Elle, comme mes tantes et ses amies, attendaient avec impatience sa livraison au fil des semaines, chapitre par chapitre, cette année-là. De retour de leurs courses, elles entraient ses nouveaux arrivages dans une reliure rigide.

Encore aujourd’hui, cette édition de 1963 demeure un de mes livres de cuisine de référence. Elle a, avec les ans, les déménagements et la proximité de la farine, perdu une partie de sa couverture rigide et de sa table des matières. Je persiste toutefois à la garder comme un trésor, la préférant même à la plus récente Nouvelle encyclopéfie de la cuisine canadienne, parue en 1981, héritée de mon père.

***

Mon bonheur que  Jehane Benoit ait été choisie parmi les auteurs mis en valeur lors du Moulin à paroles tient donc à la place qu’occupe ce livre dans ma vie, mais  aussi, à son parcours personnel, comme en témoignent ses notes biographiques dans  l’Encyclopédie Wikipédia : «Fille de Marie-Louise Cardinal et d’Alfred Patenaude, homme d’affaires québécois, elle vit sa jeunesse à Westmount, un milieu luxueux. Elle est instruite au couvent du Sacré-Cœur et fréquente les familles anglophones montréalaises. Dans les années 1920, refusant la vie stéréotypée de ce milieu bourgeois, Jehane Benoît parvient à s’inscrire dans un pensionnat à Paris : le Cordon bleu. De retour au Québec, elle refuse de se plier aux conventions de l’époque et obtient d’étudier à la Sorbonne, où elle reçoit un diplôme comme chimiste en alimentation en 1925. Elle travaille notamment aux côtés d’Édouard de Pomiane, auteur d’un important livre de la gastronomie : Bien manger pour bien vivre. Parallèlement, elle assiste à différents spectacles mettant en vedette Édith Piaf et Colette. Elle en sort marquée par la culture européenne.

De retour au Québec, elle ouvre une école de cuisine laïque et bilingue (anglais et français) à Montréal : le Fumet de la Vieille France, qui connaîtra un bon succès (8 000 étudiants pendant ses quatre premières années). De 1935 à 1940, il est l’un des premiers restaurants au Canada à se spécialiser dans la cuisine végétarienne avec son (en) salad bar.

Vers la fin des années 1930, elle quitte son premier époux et tombe amoureuse de Bernard Benoît, son cadet de 13 ans qui fréquente les HEC à Montréal. Ils se retrouvent après la Seconde Guerre mondiale et, malgré la séparation vécue, ils sont toujours amoureux l’un de l’autre. C’est seulement en 1964 qu’ils se marient, suite au décès du premier mari de Jehane. Bernard Benoît, formé en administration, l’épaulera tout au long de sa carrière.

Au début des années 1950, elle entreprend la rédaction de livres de recettes. Publiés en français et en anglais, on y retrouve différents sujets : l’aliment, sa chimie, son histoire et son usage, des méthodes de cuisson, le choix des instruments, etc.

En 1956, les époux acquièrent une ferme à Sutton dans les Cantons-de-l’Est. Ce sera pour elle un lieu bucolique dédié à la cuisine. Cependant, à cette époque, son conjoint vit une liaison avec une autre femme, duquel il aura un enfant. Éventuellement, Jehane Benoît acceptera l’infidelité de son mari au point de recevoir cet enfant chez elle.

Dans les années 1960, elle se fait connaître dans le Canada anglais par sa participation à l’émission Take 30 de CBC. Au fil des ans, on la voit apparaître dans maintes publicités, tant à la télévision que dans des magazines. Elle participe aussi aux Femmes d’aujourd’hui, Les Marmitons, Bonjour Madame et The Young Chiefs (à CBC).

Son succès médiatique attire l’attention d’entreprises oeuvrant dans le domaine alimentaire. Elle signe des livres pour les fabricants de la bière Dow ou du riz Dainty et elle travaille pour le compte des Supermarchés Steinberg. En 1975, elle publie Madame Benoît’s Microwave Cook Book, traduit en français en 1976 sous le titre La Cuisine micro-ondes. Elle contribue ainsi à promouvoir la cuisson au four à micro-ondes. La compagnie Panasonic la met à contribution pour raffiner ses produits. En 1985, elle entreprend la publication en six volumes d’une encyclopédie de la cuisine micro-ondes.»

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Son écureuil au vin blanc ne vous fait pas saliver? Voici un des menus de Noêl de son Encyclopédie (édition 1963) :

Réveillon de Noël aux hors-d’oeuvre

Menu : Pâté éclair avec pain français. Trempette à l’indienne. Tartelettes florentines. Olives à la Sévillane. Noix de Grnoble épicées. POrc-épic aux raisins.

Détails en pages 949 et 950.

***

Pour en savoir plus sur le Moulin à paroles, vous pouvez aussi relire mes billets sur cet événement, en cliquant ici.

3 réflexions sur “Recette urbaine 2009

  1. Je reconnais ici tes merveilleux talents, d’écriture et de conteuse.
    Jehane était et sera toujours le livre de base de la famille Gilbert et occupe la place de choix dans ma collection de livres de recettes. Elle a une histoire fascinante, comme bien des mères du Québec.
    As-tu remarqué l’évolution des mentalités chez les maîtres cuisiniers?.
    Jehane, tradition et bible québécoise de l’art culinaire,
    Pinard et Ricardo, hommes-femmes raffinés, la cuisine chimique avec ses couleurs et ses formes de science-fiction, la cuisine scientifique avec Kampai et enfin les cuisiniers machos (celui qui est passé a tous le monde en parle et dont j’ai oublié le nom), ainsi que Martin sur la route qui me fascine. On dirait une gang de chums qui partent a la chasse pour une partie de plaisir et beaucoup de beurre.
    Martin et ses complices ont sûrement une bonne recette d’écureuils en brochette.
    Jaco

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