Le Labrador… J’en rêvais depuis longtemps. En fait, je rêvais du Labrador de la magnifique chanson de Claude Dubois.
LE LABRADOR
Je dois retourner vers le nord, deux de mes frères m’y attendent
Je voudrais tirer, traîner le temps avec mon frère qui est dedans
Qui pousse sur un traîneau géant, les exploiteurs se font pesant
Faudrait rapporter du soleil, de la chaleur pour les enfants
Flatter les chiens du vieux chasseur, boire avec lui un coup de blanc
Traîner le sud vers le nord, notre sud est encore tout blanc
Mon père parlait du Labrador, du vent qui dansait sur la mer
Un homme marchait sur la neige, cherchant des chiens pour un traîneau
Il est rentré les yeux mouillés puis un avion nous l’a ramené
Un millier d’hommes sur la neige n’ont pas d’endroit pour retourner
Ils sont figés là sans connaître et n’ont que du sud à penser
Je dois retourner vers le nord, chanter l’été du Labrador
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Si ce Labrador existe, je n’y suis pas. Je suis dans une ville minière. Presque dans deux en fait puisque Labrador City, créée par la compagnie Iron Ore, et Wabush, fief de la Wabush Mines Corporation, s’affichent maintenant sous le nom commun de Labrador Ouest. Le Labrador, en passant, appartient à Terre-Neuve. La province porte d’ailleurs officiellement le nom de Terre-Neuve-et-Labrador.
Labrador City et Wabush, donc. Deux petites agglomérations de bungalows quasi identiques, au départ, construits en lots pour et par ces compagnies puis allouées aux travailleurs contre le paiement d’hypothèques de 20, 30 ou 40 000 dollars dans les années 1970. Au fil des ans, tous y sont allés d’un balcon à l’avant, de fenêtres plus grandes, d’un nouveau revêtement extérieur. idée de leur donner un peu de personnalité. N’empêche, on sent bien l’uniformité originelle en se promenant dans les rues de ces villes.
Les villes minières et les villes de «compagnies», c’est comme ça. Ça paie bien, très bien même, mais pour l’architecture et l’urbanisme, on repassera. Il existe bien de fascinantes exceptions, comme Arvida, au Saguenay, ou Zlin, dans l’ex-Tchcoslovaquie – et même Boulder City, au Colorado, où j’ai séjourné en janvier dernier pendant mon périple en direction de Death Valley.
Mais ici, à Labrador West, on se retrouve plutôt dans un environnement fonctionnel de maisons confortables, certes, mais il est bien difficile de percevoir des traces d’une tentative de révolutionner l’urbanisme des cités minières. On a plutôt la sensation d’être dans une banlieue. Sauf que sa ville-centre est situés à des centaines de kilomètres et qui n’est pas la même pour chacun de ses citoyens. Selon d’où vous arrivez ici, cette ville-centre peut être St.John’s, Québec, Sept-Îles, Montréal, Rivière-du-Loup, Gander ou même Boston. Quand des villes ont à peine 50 ans et dépendent les hauts et des bas de l’économie, leurs citoyens de deuxième génération ne sont pas légions. Ceux qui persistent et signent adorent cette terre de montagnes, de lacs et de rivières ceinturés d’épinettes feluettes. Ils s’abreuvent de ces paysages. Tous nous vantent le bleu profond du ciel pendant les longs mois d’hiver et de la lumière éblouissante du soleil sur la neige blanche, blanche, blanche. Ils parlent d’amitiés aussi. surtout. ils sont venus pour la mine. Ils sont restés et restent à cause des gens. L’isolement? Celle des villes est bien pire, disent-ils.
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Ici, pour s’isoler, il faut aller dans les montagnes, près des lacs et des rivières. Et, quand on vient d’ici, on y va en Véhicule utilitaire sport (VUS) et en moto-neige. L’attiral dernier cri full plein-air, les tentes high tech et les traineaux à chiens, c’est pour les touristes ou les nouveaux arrivants des grandes villes du Sud. Pour apprécier le Labrador, il faut un TRUCK, un 4 par 4 et un ski-doo puissant. À Labrador City, le représentant de la race canine que j’ai vu qui ressemblait le plus à un chien de traîneau était un savant mélange de huskie et de berger allemand regardant le paysage bien confortablement installé dans la portion arrière ouverte du VUS de son maître!
Pour goûter la nature ici, il faut posséder un de ces véhicules tant décriés par les écolos des villes – et avec justesse d’ailleurs dans un tel environnement – mais tellement UTILITAIRES et ESSENTIELS dans des contrées de montagnes, de lacs et de rivières. Dans cette section du Labrador, développé par des minières, les routes pavées pour les besoins des humains seulement sont rarrissismes. Et quand elles existent, comme entre Labrador City et Fermont, une ille minière québécoise située, celle-là, à une vingtaine de minutes en auto d’ici, elles ne sont pas ou si peu déneigées en hiver. Et lorsqu’elles le sont, on n’y épend ni sel ni sable. S’y aventurer en véhicule compact économique, même muni de pneus d’hiver doté de chaînes, c’est risquer la mort à chaque croisement de camion lourd ou à chaque bourrasque de poudrerie.
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Hier, j’ai visité le coin avec Marie-Josée, une femme extraodinaire née à Montréal et établie à Labrador City depuis près de 30 ans. Elle m’avait proposé de prendre son VUS. J’ai offert de faire la tournée avec ma Corolla louée à Wabush. À plusieurs reprises, nous avons rebroussé chemin, incapables de nous aventurer dans les chemins boueux qui nous auraient peut-être conduits, qui sait?, vers un loup, un renard ou un lièvre.
Nous avons plutôt fait des visites de bungalows et des nouveaux quartiers de Wabush, où sont maintenant érigées ce qui, à l’échelle de Labrador West, a des allures des monster houses des banlieues montréalaises. Non pas que ces nouvelles maisons soient monstrueuses : impossible de faire aussi laid que les simulacres de châteaux en brique rose de Ville d’Anjou et de Ville St-Laurent. Ici, les nouvelles maisons pourraient devenir des monstres parce qu’elles sont simplement trop chères, donc impossibles à revendre si l’économie mondiale continue sa descente.
Ici, les gens ont non seulement des VUS, leur gagne-pain en dépend largement. Moins de VUS, c’est moins de fer à extraire, à livrer et à vendre. C’est le chômage ici. Moins de machinerie pour la forêt, pour les papetières, ce sont aussi des pertes d’emploi, ici.
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Ce matin, je suis allée chercher mon café au McDonald, à quelques mètres de l’entrée de l’usine d’extraction de la poudre de fer des roches de la mine. Il était aux environs de 7 heures. Heure d’entrée à l’usine. Heure de grand trafic de VUS. Ici, les VUS servent d’abord à gagner sa vie. Et les ski-doo à l’embellir.
«On est d’en Haut ou bien d’en bas, quand on voyage on apprend ça», chantait Vigneault. Quand on vient ici, on comprend assez vite, pour peu qu’on s’y attarde, qu’on a bien tort, quand on vient de Sud, de prétendre qu’on sait mieux que quiconque sur la planète ce qui est beau et bon pour protéger et vivre en harmonie avec la nature.
La marche à pied, le vélo, les transports en commun et les véhicules électriques, c’est super en milieu urbain et dans des climats doux et chauds. Dans le froid, dans la boue, et quand le milieu de nulle part devient son centre du monde, les VUS et les Ski-doo sont une excellente idée.
Labrador City, 4 mai 2009.