Jacques-Cartier, en 1534, a décrit le Labrador comme la Terre donnée par Dieu à Caïn. Je suis depuis trois jours dans cet univers nordique, peuplé d’épinettes rachitiques, de lacs et de montagnes. Des ours noirs, des caribous, des renards, des lièvres et des orignaux s’y baladent en grand nombre. Je n’en ai vu aucun. Juste un chien triomphant se prenant pour un loup à l’arrière d’un énorme camion.
De la fenêtre de ma chambre du Two Seasons, j’aperçois des bâtiments industriels, d’énormes pylônes électriques, des grues, des pneus gigantesques et… un Mc Donald. Je suis à Labrador City, cette ville qui, comme l’écrivait Michel Rivard dans sa chanson Shefferville, le dernier train, a été «inventée par grosse compagnie, en plein froid, en plein bois et en plein paradis» pour exploiter – dans tous les sens du terme – un des plus importants gisements de fer de la planète, dans les années 1960.
50 ans plus tard, quelque 8 000 personnes y vivent, tous, directement ou indirectement, dépendant pour leur gagne-pain des activités de la minière jadis appelé Iron Ore Company et propriété américaine, achetée il y a quelques années par la britannique Rio Tinto. Ce transfert de patrons n’a pas changé le bruit ambiant de la ville : un ronron incessant de la transformation de roches en fine poudre argentée qui file ensuite en direction Sud en train.
«Au Labrador, nous vivons en blanc, en noir et en gris. Pour expliquer les couleurs éclatantes qui vibrent en moi, je dois les peindre dans mes tableaux», m’a expliqué quelques heures après mon arrivée Marie-Josée Bois, une Montréalaise de naissance établie ici depuis bientôt 30 ans. L’isolement bien réel de ces hommes et de ces femmes du reste de la planète, ils en ont fait leur ami, leur allié. Ils s’abreuvent du silence des lieux, interrompus, sitôt sorti des zones industrielles et résidentielles, uniquement par les bruits du vent et des animaux.
Dès qu’on quitte ses zones urbanisées, le Labrador a des airs de Vallée de la mort. Ici aussi, les couleurs viennent des rochers et du ciel. «En une courte marche dans un sentier, on peut ramasser des pierres qui font toutes les couleurs de l’arc-en-ciel», m’a dit un autre artiste rencontré ici, Hugo Obernia. La nuit, le ciel s’enflamme souvent de rose, de vert et de bleu. Nous sommes au pays des aurores boréales. De ces merveilles comme de la faune sauvage, je n’ai rien vu encore. Et, comme dans la Vallée de la mort, des pilotes d’avions chasseurs F-18 sont venus y tester leurs engins guerriers. Loin des regards et des oreilles des Blancs, toutefois. Mais juste au dessus des têtes des Innus. L’affront était trop grand : les chasseurs ont été chassés. Et peut-être sont-ils parmi les jets qui s’amusent à terrifier les touristes de Death Valley!
Mais c’est la découverte d’une bien curieuse parenté entre ces déserts deux déserts, l’un de neige et l’autre de sable, c’est un oiseau. Le corbeau règne ici en maître, tout comme il occupe les cieux de la Vallée de la mort. Ils sont tellement gros, ici comme là-bas, qu’on dirait des poules.

Le corbeau, maître des déserts de neige et de sable
Oiseaux de malheur les grands oiseaux noirs? Juste dans les légendes urbaines. Les corbeaux survivent et prolifèrent dans les zones les plus arides et inhospitalières. Les plus inspirantes aussi, pour qui cherche le silence et la sérénité des horizons infinis. J’adore ces lieux.
Il ne faut pas avoir peur des corbeaux, bien au contraire. «Des des légendes autochtones racontent que le corbeau a créé la lumière, le feu et l’eau. Le corbeau symbolise l’intelligence. C’est un animal sacré pour plusieurs cultures. C’est le gardien de la magie , des connaissances ésotériques , du savoir millénaire. Il nous apprend à vaincre nos peurs de l’inconnu aussi bien que les craintes que nous imaginons dans le fond de notre conscience. C’est le guide qui nous transporte directement au monde des esprits pour atteindre rapidement la conscience.», peut-on lire dans les pages consacrées au chamanisme amérindien du site Internet chemainsdelumière.com. tm.
Je ne suis pas prête à attribuer toutes ces vertus aux corbeaux mais je nous reconnais des goûts semblables en matière de paysages.
Labrador City, 3 mai 2009.